Le phénomène était jusque-là très peu connu en Guinée, pourtant, il existe à plusieurs endroits du pays.
Depuis quelques années, plusieurs réseaux proxénètes ont vu le jour. Immersion dans ce monde qui est très peu connu en Guinée, mais qui génère pas moins de dix millions de francs guinéens par jour. Le proxénétisme est le fait de générer des profits sur l’activité de prostitution d’autrui grâce à l’ascendant que l’on exerce sur les personnes qui se livrent à cette pratique. Contrairement aux prostituées qui attendent un client dans un coin de la rue, les proxénètes sont dans une sorte bureau. Un endroit où se négocie « la chair ». Les patronnes de ce business sont des femmes qui gagnent « paisiblement » leurs vies. Les tarifs oscillent entre 500 mille et plusieurs millions. Tout dépend des envies du client. La taille, le teint, le poids, la durée, mais aussi des fantasmes du client. Tout ça se négocie avec la cheffe du réseau. La fille qui répond aux critères du client est informée quelques heures seulement avant le début de son « contrat ».
Les filles entrent généralement dans ce monde de façon banale et par le canal d’autres femmes qui continuent à jouer le rôle de marraines. Dans ce monde, il y a des codes propres à elles, il s’agit de ‘’ dossier traité’’ et ‘’dossier à traiter’’. Etudiante de son état, cette jeune fille de 26 ans qui a fait la prostitution explique comment elle est arrivée dans ce monde. Elle révèle également que les marraines leurs soumettent à des conditions difficiles pour ne pas perdre le terrain. « Pour moi, comme la plupart des filles, tout a commencé par le rôle d’hôtesse, de fille d’honneur ou de servante dans des cérémonies de réception de personnalité ou d’inauguration, des ateliers de formation ou des festivités. Finalement on t’invite tellement que tu te crois indispensable. Les femmes qui s’occupent de la préparation lors de ces cérémonies jouent un rôle primordial dans le recrutement des filles. C’est elles qui négocient pour que tu te livres à certains cadres qui viennent pour des missions ou autres. Mon cas est parti comme ça, j’ai passé la nuit avec un cadre, qui m’a donné une petite enveloppe à titre de transport, le matin en quittant sa chambre, la dame qui nous a mis en contact est arrivée, au niveau de la réception, j’ai vu le Monsieur lui tendre une enveloppe en disant « Mme je suis satisfait, dossier traité, je pense qu’il est à traiterencore ». J’ai compris que la dame m’a vendu et que le Monsieur voulait une seconde fois, c’est comme ça que j’ai décodé les termes ‘’dossier traité’’ et ‘’dossier à traiter’’…Tout est bien verrouillé ! Tu passes la nuit avec un homme qui ne doit pas connaitre ton nom, lui aussi doit rester dans ce cadre, il ne doit pas aller au-delà pour nouer une relation amoureuse. Une fois, un cadre a été accusé de viol et séquestration parce qu’une marraine s’est rendue compte qu’il a outrepassé les consignes avec une fille. Le monsieur était obligé de transférer un montant important à la marraine pour étouffer l’affaire. Au-delà du lit rien d’autre. C’est un monde sans pitié » regrette S.D, cette fille qui vit actuellement dans une autre ville pour des raisons d’études.
Au cours de note recherche de témoignages, nous sommes entrés en contacts avec deux marraines d’une même équipe dans un endroit qu’elles ont choisi elles-mêmes. Au début, elles nous prenaient pour des clients potentiels. Nous avons réussi à les faire parler. Mais loin de nos caméras et de nos enregistreurs. Ces mères de famille ne voulaient prendre « aucun risque ». T.R, 53 ans raconte : « Ceux qui viennent au-delà de la nourriture que nous proposons, ils demandent aussi à avaler des cuisses ou manger des poils (Une fille avec laquelle passer la nuit Ndlr). Le plus souvent parmi les filles qui sont là, ils indexent une par code. C’est dans ce cadre que la facilitation s’ouvre. Mais vous savez déjà cela est courant même dans les quartiers que quelqu’un facilite une relation entre un homme et une femme. Contrairement aux gens des maisons closes, ce n’est pas nous qui proposons notre service moyennant quelque chose, mais ce sont les clients eux-mêmes qui demandent la journée, le soir c’est réglé. Aucune fille n’est obligée de jouer ce rôle. C’est quand vous êtes consentante », témoigne-t-elle.
Sur le dos de celles qui acceptent de vendre leurs corps, ces femmes ont pourtant fait fortune. Tous les jours, elles gagnent des millions de francs guinéens. Tout dépend de la période. La « moisson » est souvent bonne lors des visites des officiels. Durant notre enquête, une seule fille a accepté de donner son identité. La raison, elle n’avait pas accepté d’être à la solde de ces « marraines ». « C’est une dame qui était très amie à ma mère qui m’avait proposé le service il y a longtemps de façon voilée. Elle m’a dit un jour qu’il y a un monsieur qui voudrait me rencontrer et que ce dernier pouvait changer ma vie. Selon elle, il fallait juste que je sois avec cet homme durant quelques jours. C’est un monsieur qui était très mobile, c’est à dire qu’il voyageait beaucoup. J’ai compris que c’était une forme de prostitution. J’ai expliqué à ma mère l’attitude de sa copine, elle était très remontée, elle avait même voulu porter plainte contre sa copine », nous confie cette jeune fille Baldé.
A Labé où notre enquête s’est beaucoup accentué, plusieurs réseaux existent. T.R la dame qui avait accepté de se confier à notre rédaction jure qu’elles ne sont pas seules dans ce milieu. A côté de son complexe composé d’un bar restaurant et d’un espace de loisirs, cette femme qui est mariée et mère de plusieurs enfants dit ne pas voir du mal dans le second travail qu’elle fait. Pour T.R,il s’agit d’un travail comme les autres. « Personne n’est obligée à vendre son corps. Nous ne servons que d’intermédiaires », fulmine-t-elle. En Guinée, le proxénétisme est interdit. Cette pratique est passible d’une peine d’emprisonnement. Par contre, le fait de vendre son corps, c’est-à-dire la prostitution, est légale. Toutefois, dans un pays où plus de 90% de la population pratiquent des religions monothéistes, cette pratique est mal perçue.
Sans connaître ses dangers, plusieurs jeunes filles se livrent à la pratique du plus vieux métier du monde, la prostitution. Elles courent de gros risques de contracter des maladies sexuellement transmissibles, notamment le VIH/Sida. Nombreuses parmi elles font des rapports non protégés avec leurs clients. Ces derniers l’exigent parfois « pour tirer le maximum de plaisir ». Une enquête que nous avions menée à Labé a révélé que le Sida est très répandu en Guinée. A Labé par exemple, les autorités sanitaires avaient donné des chiffres qui font froid au dos. 3 500 personnes vivant avec le VIH Sida à Labé sont officiellement recensées à la direction régionale de la santé de Labé. Les autorités sanitaires sont conscientes de la propagation du VIH dans la région et savent que ces chiffres ne sont pas exhaustifs. Pour se faire une idée de la propagation de la maladie dans la région, il y a un exemple très évocateur. En 2018, sur 50 personnes soumises au test VIH sur une période d’un mois, 30 étaient séropositives.
L’autre danger qui guette souvent ces travailleuses de sexe, c’est bien sûr l’insécurité. Rencontrer et passer la nuit avec un inconnu comporte de gros risques. Des disputes peuvent intervenir avec certains clients qui sont parfois des « amis de la bouteille ». Malgré ces dangers, les travailleuses de sexe sont de plus en plus nombreuses, pour le grand bonheur des proxénètes.
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