Les députés français ont voté dans la nuit de lundi à mardi un arsenal de mesures qui s’imposeraient à des condamnés pour terrorisme une fois sortis de prison. Le texte, présenté par le groupe LREM, est rejeté par la gauche qui dénonce une « peine après la peine ». Le Sénat doit désormais se prononcer.
L’Assemblée nationale française a voté, dans la nuit de lundi 22 à mardi 23 juin, une proposition de loi LREM controversée prévoyant des « mesures de sûreté » pour les condamnés pour terrorisme, à l’issue de leur peine.
L’autorité judiciaire pourra imposer durant cinq ou dix ans à ces personnes l’obligation de répondre aux convocations du juge d’application des peines, d’établir sa résidence en un lieu déterminé, des interdictions d’entrer en relation et de paraître dans certains lieux, et encore l’obligation de pointage ainsi que, sous réserve de l’accord de la personne, le port du bracelet électronique.
Comme les élus MoDem, la ministre de la Justice Nicole Belloubet s’est prononcée contre le bracelet, « mesure la plus attentatoire à la liberté » parmi cet arsenal. Mais les « marcheurs », dont l’ancien patron du Raid Jean-Michel Fauvergue, ont jugé le bracelet « incontournable » et ont prévu qu’il permette de réduire le pointage à une fois par semaine.
Une « fuite en avant »
À l’issue d’âpres débats, les députés LREM, LR et UDI ont voté l’ensemble de cette proposition de loi en faveur de « la sécurité des Français », le groupe LFI contre ce qu’il voit comme une « fuite en avant » et « un semblant de peine » pour ces terroristes sortis de détention. Socialistes et communistes se sont eux abstenus sur un texte « dangereux par rapport aux principes fondateurs du droit ».
« La menace est de plus en plus endogène » : « Des personnes condamnées pour des faits de terrorisme vont sortir de prison », environ 150 dans les trois prochaines années, dont « certains sont encore très dangereux », a expliqué Yaël Braun-Pivet, présidente LREM de la commission des Lois. « Or nous n’avons pas tous les outils nécessaires pour assurer leur suivi. »
Ces personnes « ont été condamnées dans les années 2010 très souvent pour des délits », d’où ces « sorties sèches », sans « accompagnement judiciaire » mais avec toutefois une année possible de contrôle administratif, selon l’autre auteur de la proposition de loi, Raphaël Gauvain. Les peines pour terrorisme n’ont été durcies qu’en 2016 après la vague d’attentats sur le sol français.
Un « impérieux besoin d’équilibre »
La ministre de la Justice Nicole Belloubet a globalement soutenu la proposition LREM, tout en mettant en avant un « impérieux besoin d’équilibre » : pas question « d’instaurer une quelconque forme de justice prédictive », sur la base d’un « simple soupçon » quant à la dangerosité de la personne.
Le texte doit être rapidement examiné par le Sénat, en vue d’une adoption définitive d’ici fin juillet. Des sénateurs emmenés par Philippe Bas (LR) ont déposé une proposition de loi similaire en mars, laissant augurer une convergence entre les deux chambres.
« Nous sommes sur une ligne de crête », relève Yaël Braun-Pivet : les mesures de sûreté ne doivent pas s’apparenter à une peine, au risque de ne pouvoir s’appliquer aux personnes déjà jugées. Or les « marcheurs » visent une application immédiate.
« La peine après la peine »
Le Conseil national des barreaux (CNB), qui représente les 70 000 avocats de France, avait adopté début juin une motion contre « la peine après la peine », dénonçant un texte remettant en cause les garanties de l’État de droit et contraire à la déclaration des droits de l’Homme.
Les députés de gauche, des groupes Libertés et territoires et EDS font la même critique. « L’objectif politique de ce texte est d’agiter les peurs en adoubant une nouvelle fois les thèses de l’extrême droite », dénoncent les Insoumis, qui pointent un renoncement « à la réinsertion de ces personnes ».
Un suivi social, éducatif ou psychologique figure dans l’éventail des mesures à la main de la justice, répond Yaël Braun-Pivet, qui souligne que certains condamnés sont « demandeurs de cet accompagnement ».
La garde des Sceaux a rappelé que 514 personnes sont détenues pour des faits de terrorisme islamiste, et 760 autres sont des détenus de droit commun « susceptibles d’être radicalisés ».
Avec AFP