Plusieurs biographies de personnalités noires brésiliennes ont été censurées sur le site de la fondation Palmares, une institution pourtant chargée de défendre l’héritage culturel noir au Brésil.
La mémoire des Noirs est-elle menacée au Brésil ? Des biographies de plusieurs personnalités noires ont été supprimées ces derniers jours du site Internet de la fondation Palmares située à Brasilia, rapporte le quotidien brésilien Folha de S.Paulo. Une censure qui pourrait surprendre d’autant plus qu’elle émane d’une institution défendant l’héritage culturel noir dans le pays depuis plus de trente ans.
Plusieurs articles portant sur la vie de figures abolitionnistes comme Luiz Gama, André Rebouças mais aussi l’écrivaine Carolina de Jesus ont disparu du site officiel. Plus symbolique encore, la biographie de Zumbi dos Palmares, leader de la lutte contre l’esclavagisme du XVIIème siècle – qui a donné son nom à l’institution – a également été censurée. De même, une statue à son effigie située à l’entrée de la fondation a été déboulonnée, précise le journal brésilien.
Un “racisme Nutella”
Pour l’heure, l’institution n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet. Difficile pourtant d’imaginer derrière ces initiatives l’expression d’une simple maladresse. Et pour cause : à la tête de la fondation Palmares figure Sergio de Camargo, “noir de droite” selon ses mots, et ancien journaliste de formation connu pour ses saillies racistes. Ce proche du gouvernement Bolsonaro a régulièrement déclenché des polémiques, assurant par exemple qu’il n’y a pas de “véritable racisme” dans le pays mais, un “racisme Nutella”, autrement dit édulcoré, minimisant l’importance de ce fléau au Brésil. À ses yeux encore, l’esclavage certes “terrible” fut, néanmoins, “bénéfique” sur le long terme pour les afro-descendants.
Sans surprise, sa nomination à la tête de la fondation en novembre 2019 par le secrétaire d’État à la culture du gouvernement Bolsonaro avait suscité la colère des défenseurs de la cause noire. Des centaines de militants s’étaient ainsi rassemblés devant le siège de l’institution, refusant ce qu’ils considéraient comme une “provocation”. Malgré un premier recours de la justice fédérale suspendant son arrivée, Sergio Camargo a pu finalement prendre ses fonctions en début d’année. Et continuer ses provocations.
À peine nommé, il a ainsi ordonné la publication pour le 13 mai – date de la commémoration de l’abolition de l’esclavage dans le pays – de plusieurs articles remettant en cause la figure de Zumbi dos Palmares.
“Un conflit de mémoire”
Une “réécriture de l’histoire” qui reflète la politique menée par le président Jair Bolsonaro, estime Richard Marin, professeur à l’Université Toulouse Jean Jaurès, spécialiste du Brésil contacté par France 24. “Il s’agit d’un conflit de mémoire. Bolsonaro représente cette Amérique blanche qui a toujours eu beaucoup de difficultés à accepter la promotion des Noirs dans la culture, les universités et les services publics”, remarque l’universitaire.
Depuis une loi de 2012 promulguée sous Dilma Rousseff, le Brésil réservait la moitié des places dans les universités aux étudiants venant d’écoles publiques. Ces quotas raciaux comprenaient un nombre de places réservées aux Noirs, aux Métis et aux Indiens et proportionnelles à la composition de la population de chaque État du pays. Une mesure qui a été révoquée, le 18 juin dernier, par l’ancien ministre de l’Éducation, Abraham Weintraub.
À l’heure actuelle, les inégalités restent toujours plus criantes sur le marché de l’emploi : parmi les 54 % de Brésiliens noirs ou métis, seuls 5 % occupent des postes d’encadrement, selon l’Institut Brésilien de Géographie et Statistiques. Malgré ces discriminations, la communauté noire serait politiquement plus divisée qu’on ne le croit. Selon un sondage publié en décembre par l’institut Datafollah, près de la moitié (46 %) des afro-descendants juge le gouvernement Bolsonaro “mauvais ou terrible”, quand une majorité (53 %) le trouve soit “normal” (33 %), soit “bon ou excellent” (20 %).
« Black Lives Matters » au Brésil
Comment expliquer une telle divergence d’avis ? “Bien que le mouvement de défense de la communauté noire se cale sur celui des États-Unis, il reste structurellement différent. Au Brésil, il y a une continuité de couleurs de peau. Le recensement de la population se fait à travers six termes “branco” (blanc), “pardo” (métisse), “preto” (noir), “amarelo” (asiatique), indigène ou sans déclaration. Il n’y a pas deux blocs qui s’affrontent”, explique Théry Hervé, directeur de recherche au CNRS-Creda, professeur à l’université de Sao Paulo, contacté par France 24.
Cette grande diversité de métissage “expliquerait ainsi pourquoi les mouvements de lutte afro-américains n’ont rencontré que très peu d’échos au Brésil jusque dans les années 1970”, abonde Richard Marin. Mais le vent pourrait désormais tourner. “Des manifestations ‘Black Lives Matters’ se sont déjà déroulées dans le pays. Le mouvement noir se saisit du contexte actuel pour se faire encore plus entendre et on ne peut que lui donner raison”, conclut Théry Hervé.