L’impunité persistante attise le risque d’abus commis par des policiers et des gendarmes.
Le gouvernement guinéen devrait respecter la liberté de réunion et s’assurer de la discipline des forces de sécurité à l’approche du référendum constitutionnel du 1er mars 2020, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Ce référendum pourrait notamment ouvrir la voie au président Alpha Condé pour briguer un troisième mandat.
Depuis que des manifestations généralisées contre cette nouvelle constitution ont commencé en octobre 2019, les forces de sécurité ont eu recours au gaz lacrymogène, à de l’équipement anti-émeutes et, parfois, aux armes à feu contre les manifestants qui, de leur côté, ont lancé des pierres et d’autres projectiles sur les policiers et les gendarmes. Dans des vidéos circulant sur les réseaux sociaux et dont l’authenticité a été vérifiée par des journalistes internationaux, on voit des membres des forces de sécurité tirer sur des manifestants, passer à tabac un homme âgé et se servir d’une femme comme bouclier humain contre les pierres lancées par les manifestants. Plus de 30 personnes ont été tuées et des dizaines d’autres ont été blessées.
« Alors que la tension monte à l’approche du référendum du 1er mars, le risque de nouveaux actes de répression de la part des forces de sécurité augmente », a déclaré Corinne Dufka, directrice pour l’Afrique de l’ouest à Human Rights Watch. « Le gouvernement guinéen doit faire en sorte que les policiers et les gendarmes fassent preuve de retenue et de discipline lorsqu’ils contrôleront les manifestations de l’opposition. »
Selon la constitution, Condé, qui a été élu pour la première fois en 2010, est dans l’impossibilité de présenter sa candidature pour une troisième mandat à la tête du pays, mais ses partisans affirment qu’une nouvelle constitution lui permettrait d’être de nouveau en lice. Condé a annoncé le 4 février que le référendum aurait lieu le 1er mars, en même temps que les élections législatives, qui étaient initialement prévues pour le 16 février. Le 10 février, il a déclaré que si une nouvelle constitution est adoptée, « [son] parti déciderait » s’il sera candidat à sa propre réélection.
Depuis le 14 octobre, une coalition de groupes non gouvernementaux et de partis d’opposition – le Front national de défense de la Constitution (FNDC) – a organisé des manifestations de grande ampleur à Conakry, la capitale, et dans des villes du centre de la Guinée.
Quoique le gouvernement ait parfois autorisé des manifestations anti-constitution, dans la plupart des cas les forces de sécurité se sont efforcées de disperser ces marches de protestation et d’arrêter les participants. Le FNDC affirme que depuis octobre, les forces de sécurité ont tué par balles au moins 36 manifestants. De leur côté, les manifestants auraient tué au moins un gendarme.
Le gouvernement guinéen a cherché à faire porter aux manifestants la responsabilité de ces décès et Condé a affirmé le 24 octobre: « On sait que ce sont eux-mêmes [les organisateurs des manifestations] qui tirent sur les gens. » Cependant, au cours de la dernière décennie, Human Rights Watch a abondamment documenté le recours par la police et les gendarmes aux armes à feu et à une force létale excessive, ainsi que des passages à tabac de manifestants, des actes de corruption et d’autres formes de criminalité.
Le 16 janvier, après que des vidéos eurent circulé montrant prétendument les forces de sécurité tirant au fusil d’assaut sur des manifestants, le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, Damantang Albert Camara, a déclaré que lorsque les manifestations ne sont plus pacifiques, « cela devient difficile de faire le discernement entre quelqu’un qui manifeste pacifiquement et quelqu’un qui a des intentions délictuelles ou criminelles….Ce n’est pas exclu qu’il y ait des bavures. » Il a toutefois démenti qu’il y ait « systématiquement un plan… où [le gouvernement] envoie des gendarmes ou des policiers tirer sur les populations. »
Le gouvernement a promis à plusieurs reprises d’enquêter sur les allégations de mauvaise conduite de la part des forces de sécurité lors des manifestations. Après qu’une vidéo eut circulé sur les réseaux sociaux le 14 janvier, montrant des agents de police battant un homme âgé, le directeur général de la Police nationale, Ansoumane Camara Bafoe, a annoncé le 15 janvier la création d’une commission spéciale d’enquête afin de « trouver et identifier les responsables de cet acte abominable ». Lorsqu’une autre vidéo est apparue, montrant des agents de police utilisant une femme comme bouclier humain, Albert Camara, le ministre de la Sécurité et de la protection civile, a déclaré le 29 janvier qu’« il n’est pas question de laisser passer ce genre d’agissements » et a promis que les responsables seraient amenés à rendre des comptes.
Le Ministère de la Justice n’a pas répondu à un email de Human Rights Watch, daté du 13 février et demandant des informations sur le statut des enquêtes relatives à ces deux incidents, ainsi que sur les morts de manifestants qui auraient été tués depuis octobre 2019.
Au cours de la dernière décennie, le gouvernement guinéen a régulièrement failli à sa responsabilité d’enquêter sur les décès et sur les autres abus survenus lors de manifestations politiques. En fait, bien que depuis 2010 des membres des forces de sécurité aient été suspectés d’avoir tué par balles des dizaines de manifestants, la condamnation, le 4 février 2019, d’un capitaine de police pour le meurtre d’un manifestant en 2016 a été la première condamnation de ce type d’un membre des forces de sécurité. Human Rights Watch a recommandé en avril 2019 que le gouvernement crée une cellule spéciale d’enquête afin d’enquêter sur les violences survenues lors de manifestations, notamment sur les allégations de meurtres commis par les forces de sécurité.
Alors que les manifestations contre la nouvelle constitution se poursuivent, le gouvernement guinéen devrait réitérer la nécessité que la police et les gendarmes se conforment aux Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois et aux Lignes directrices pour le maintien de l’ordre par les agents chargés de l’application des lois lors des réunions en Afrique, élaborées par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. La communauté internationale devrait insister auprès du gouvernement pour qu’il respecte la liberté de réunion, maintienne la discipline et s’assure que les responsabilités soient établies pour les abus commis dans le passé.
« Alors que les manifestations contre l’adoption d’une nouvelle constitution se poursuivent, l’impunité pour les meurtres présumés et les mauvais comportements des forces de sécurité risque d’alimenter une augmentation des violations des droits humains », a affirmé Corinne Dufka. « Les autorités guinéennes doivent effectuer des enquêtes crédibles sur les allégations d’abus et punir les responsables. »