A la suite des demandes rĂ©pĂ©tĂ©es de plusieurs concitoyens, jâai dĂ©cidĂ© de me prononcer sur une actualitĂ© juridique brĂ»lante du pays.
Jâai entrepris de rĂ©diger cette contribution aprĂšs avoir lu et analysĂ© prĂšs dâune cinquantaine dâarticles, interviews et commentaires publiĂ©s par les sites internet guinĂ©ens. Depuis quelques annĂ©es, notamment avec les crises Ă la Cour constitutionnelle, les GuinĂ©ens sont de plus en plus friands des dĂ©bats dâidĂ©es. Il est heureux de le constater car depuis longtemps le dĂ©bat intellectuel est sorti par la fenĂȘtre dans notre pays.
Il faut laisser libre cours au dĂ©bat et mĂȘme lâencourager : câest de la contradiction que jaillit la lumiĂšre porteuse de propositions et dâidĂ©es novatrices.
Avant tout dĂ©veloppement, je voudrais surtout insister sur le fait que le dĂ©bat doit garder de la hauteur, avec humilitĂ© et sĂ©rĂ©nitĂ©, pour ne pas tomber dans des Ă©changes de caniveau. Le dĂ©bat, Ă©minemment juridique, ne doit pas ĂȘtre biaisĂ© par le fait du positionnement politique des uns et des autres.
Il faut surtout Ă©viter les propos du genre : ââles promoteurs dâune nouvelle constitution seront traitĂ©s comme des criminelsââ ou ââils seront poursuivis en justice et leurs biens saisisââ, et ne pas considĂ©rer lâoption pour une nouvelle constitution comme ââune dĂ©claration de guerre contre la patrieââ.
De tels propos sont regrettables : on ne dĂ©fend pas une constitution en la violant. Aux termes des articles 7 et 11 de la constitution de 2010, chaque citoyen est libre de croire, de penser et de professer ses opinions politiques et philosophiques ; il est libre dâexprimer et diffuser ses idĂ©es et opinions par la parole, lâĂ©crit et lâimage. Surtout quand il sâagit dâune question dâintĂ©rĂȘt national comme lâĂ©laboration dâune nouvelle constitution.
Autant les GuinĂ©ens qui sâopposent Ă lâadoption dâune nouvelle constitution ou Ă lâidĂ©e dâun troisiĂšme mandat du PrĂ©sident en exercice ont le droit de sâexprimer et de manifester (articles 7 et 10 de la constitution), autant ceux qui y sont favorables ont le droit dâexprimer leur opinion sans ĂȘtre menacĂ©s.
Pour la paix sociale et la construction dâune vĂ©ritable sociĂ©tĂ© guinĂ©enne dĂ©mocratique, ce qui nâest pas impossible aux GuinĂ©ens, il faut savoir garder raison car seule la sĂ©rĂ©nitĂ© permettrait de bien comprendre lâobjet de la question juridique Ă dĂ©battre, en excluant les amalgames politiciens qui dĂ©naturent lâobjet et lâenjeu dâun dĂ©bat qui se doit dâĂȘtre constructif.
Avant dâĂ©voquer le fond de ce dĂ©bat, il est important de faire quelques observations sur des confusions et amalgames volontairement ou involontairement entretenus.
De quelques observations liminaires
Ces observations tendent Ă la clarification dâun certain nombre dâidĂ©es et de concepts dont la comprĂ©hension par certains citoyens et leaders politiques ou dâopinion crĂ©e la confusion dans le dĂ©bat actuel.
Le Président ne pourrait pas proposer au Peuple une nouvelle constitution pour au moins trois raisons :
il a déjà été élu deux fois sur la base de la constitution de 2010 ;
il est en fin de mandat : la constitution limitant le nombre de mandat prĂ©sidentiel Ă deux, le moment nâest plus idĂ©al ;
il y a les dispositions intangibles de lâarticle 154 de la constitution.
Cet argumentaire amĂšne, de prime abord, Ă observer que les constitutions ne prĂ©voient gĂ©nĂ©ralement que les modalitĂ©s de leur rĂ©vision ; quant Ă lâadoption dâune nouvelle constitution, aucune constitution ne lâinterdit. Il suffit Ă ce sujet de se rĂ©fĂ©rer Ă lâhistoire constitutionnelle des Etats dans le monde. Lâexception amĂ©ricaine de la constitution de 1787 ne peut constituer une rĂšgle, encore que dans ce cas il y a eu plus dâune vingtaine dâamendements.
Relativement Ă ces idĂ©es, il y a lieu de rappeler, sur le premier point, que conformĂ©ment aux articles 51 et 152 de la constitution de 2010, lâinitiative de proposer au rĂ©fĂ©rendum un texte constitutionnel appartient au PrĂ©sident de la RĂ©publique et aux dĂ©putĂ©s, quâil sâagisse dâune rĂ©vision constitutionnelle ou dâune nouvelle constitution. Or Ă date, le mandat du PrĂ©sident actuel nâa pas encore expirĂ© et aucun texte juridique ne lie lâexercice de ce pouvoir dâinitiative, confĂ©rĂ© par la constitution, Ă la limitation du nombre de mandat prĂ©sidentiel ou Ă la durĂ©e du mandat prĂ©sidentiel.
Sur le second point, la constitution nâindique pas la pĂ©riode au cours de laquelle peut ĂȘtre entreprise une initiative tendant Ă modifier ou Ă abroger la constitution : il nâexiste pas de moment idĂ©al, câest une question dâopportunitĂ© politique, surtout lorsque le dĂ©bat sâouvre plus dâun an et demi avant lâĂ©lection prĂ©sidentielle.
La seule limite temporelle Ă une telle initiative est celle de lâarticle 153 de la constitution qui dispose que « aucune procĂ©dure de rĂ©vision ne peut ĂȘtre entreprise en cas dâoccupation dâune partie ou de la totalitĂ© du territoire national, en cas dâĂ©tat dâurgence ou dâĂ©tat de siĂšge ». Aucun de ces cas de figure nâest Ă©tabli Ă ce jour, encore quâil nâest pas question dâune rĂ©vision constitutionnelle.
Il a Ă©tĂ© par ailleurs reprochĂ© que lâinitiative nâa pas Ă©tĂ© prise dĂšs 2011. A cela, on peut observer que la constitution ne datant que de mai 2010, aucun candidat Ă lâĂ©lection prĂ©sidentielle de 2010 nâavait dans son programme lâinitiative dâune rĂ©vision constitutionnelle, encore moins lâĂ©laboration dâune nouvelle constitution. Par ailleurs, les troubles socio-politiques de 2013 et lâĂ©pidĂ©mie de fiĂšvre Ă virus Ebola Ă partir de 2014 nâauraient pas permis avant 2015, annĂ©e de lâĂ©lection prĂ©sidentielle, dâentreprendre une initiative constitutionnelle.
Sur le troisiĂšme point tenant aux dispositions intangibles de la constitution, il faut souligner que toute constitution est une Ćuvre humaine : la constitution nâest pas un texte dâorigine divine. DĂšs lors, toutes ses dispositions, mĂȘme celles dĂ©clarĂ©es intangibles, ne produisent dâeffets juridiques que pendant la vie de la constitution qui les a Ă©tablies. Aucune disposition dâune constitution ne peut survivre Ă son abrogation par une nouvelle constitution. LâidĂ©e de rĂšgles supra-constitutionnelles reflĂ©tant des valeurs sociales est une idĂ©e relative, surtout quand il sâagit dâune constitution comme celle de 2010 dont le reproche majeur est de nâavoir pas Ă©tĂ© adoptĂ©e par rĂ©fĂ©rendum.
Il est reprochĂ© encore Ă lâidĂ©e dâun rĂ©fĂ©rendum constitutionnel de se heurter Ă lâabsence de toute rĂ©glementation en la matiĂšre.
Le rĂ©fĂ©rendum lĂ©gislatif ou constitutionnel est prĂ©vu par les articles 51 et 152 de la constitution, Ă©tant prĂ©cisĂ© que lâexpression loi constitutionnelle est utilisĂ©e aussi bien en matiĂšre de rĂ©vision constitutionnelle quâen matiĂšre dâĂ©laboration dâune nouvelle constitution.
Cf â loi constitutionnelle n°2016-10 du 05 avril 2016 (rĂ©vision constitutionnelle au SĂ©nĂ©gal, http://www.jo.gouv.sn )
â loi n°2016-886 du 08 novembre 2016 portant constitution de la RĂ©publique de CĂŽte dâIvoire (JORCI n° 16 du 19
novembre 2019)
Par ailleurs, les dispositions du titre I du code Ă©lectoral du 24 fĂ©vrier 2017 intitulĂ©es ââDes dispositions communes Ă toutes les consultations Ă©lectoralesââ sont applicables en la matiĂšre, pour rĂ©gir les modalitĂ©s pratiques dâorganisation dâun rĂ©fĂ©rendum en GuinĂ©e, les titres II Ă IX Ă©tant consacrĂ©s aux aspects spĂ©cifiques des Ă©lections concernant les conseils de quartier et de district, les conseils communaux, les dĂ©putĂ©s, le PrĂ©sident de la RĂ©publique, les dispositions financiĂšres, pĂ©nales, transitoires et finales.
Contrairement Ă ce quâon peut lire dans certains Ă©crits, la constitution nâa pas, entre autres, pour objet de procĂ©der au dĂ©coupage territorial administratif du pays : elle dĂ©finit les grands principes de lâorganisation territoriale, Ă charge pour lâexĂ©cutif et le lĂ©gislatif, dans des lois et rĂšglements, de dĂ©terminer le nombre et les limites des rĂ©gions, prĂ©fectures, sous-prĂ©fectures, communes urbaines et rurales.
Il en est de mĂȘme du nombre de dĂ©putĂ©s. La crĂ©ation de nouvelles communes urbaines ou prĂ©fectures, circonscription Ă©lectorales pour lâapplication du scrutin uninominal majoritaire Ă un tour, relĂšve normalement du domaine rĂ©glementaire sur la base de critĂšres lĂ©gaux prĂ©alablement Ă©tablis, ceci pour corriger les disparitĂ©s dĂ©noncĂ©es Ă chaque Ă©lection lĂ©gislative.
Ces précisions étant faites, il importe de revenir au fond du débat.
Sur la proposition dâune nouvelle constitution au peuple de GuinĂ©e
Le dĂ©bat porte bien sur la question, non dâune rĂ©vision constitutionnelle au sens de lâarticle 152 de la constitution de 2010, mais dâune nouvelle constitution. Une rĂ©vision constitutionnelle laisse subsister la constitution, elle nâaffecte que certaines de ses dispositions.
LâĂąpretĂ© du dĂ©bat tient au fait que la notion de constitution est liĂ©e dans les sociĂ©tĂ©s modernes Ă celle de la dĂ©mocratie qui apparaĂźt comme sa finalitĂ©. La constitution a donc une fonction politique, elle est porteuse dâun projet de sociĂ©tĂ©.
Aussi pour sortir dâun rĂ©gime dâexception, dâune crise politique ou de la dĂ©naturation dâune constitution consĂ©cutive Ă une pratique politique en marge des textes juridiques (accords politiques), il peut apparaĂźtre nĂ©cessaire dâĂ©tablir une nouvelle constitution pour revenir Ă un ordre constitutionnel normal tirant les leçons des Ă©vĂ©nements de la vie socio-politique du pays.
La constitution de 2010, dont lâabrogation est visĂ©e par lâĂ©tablissement dâune nouvelle constitution, est une constitution de sortie dâun rĂ©gime militaire dâexception instaurĂ© aprĂšs le coup dâEtat du 23 dĂ©cembre 2008 consĂ©cutif au dĂ©cĂšs du PrĂ©sident Lansana CONTE : elle a Ă©tĂ© rĂ©digĂ©e dans la prĂ©cipitation par le Conseil national de la transition, installĂ© seulement le 13 mars 2010 pour prĂ©parer les bases juridiques (y compris le code Ă©lectoral) dâune Ă©lection prĂ©sidentielle dont le premier tour Ă©tait prĂ©vu pour fin juin 2010 car la dĂ©claration de Ouagadougou du 15 janvier 2010 avait fixĂ© Ă cet effet un dĂ©lai de six mois.
Si par sa composition sociologique, la lĂ©gitimitĂ© du Conseil national de la transition, (devenue assemblĂ©e constituante souveraine) Ă©tait moins contestable, en revanche la non maĂźtrise de lâarticulation entre les diffĂ©rentes institutions constitutionnelles de lâEtat et la dĂ©fense des intĂ©rĂȘts catĂ©goriels ou politiques ont conduit Ă un processus dâĂ©criture relevant bien plus de la perception des acteurs sociaux composant le CNT que de la rĂ©alitĂ© politique.
Dans ces conditions, lâĂ©criture dâune constitution par une Ă©lite politique seule justifie la conclusion dâun nouveau pacte politique.
Il a, en effet, Ă©tĂ© rĂ©guliĂšrement fait grief Ă la constitution de 2010 dâavoir Ă©tĂ© adoptĂ©e par une assemblĂ©e non Ă©lue ou par voie dĂ©crĂ©tale, de sorte que la non-organisation dâun rĂ©fĂ©rendum constitutionnel affecte, selon les critiques, la lĂ©galitĂ© de ladite constitution. Dans un article publiĂ© en France dans la Revue Juridique et Politique des Etats Francophones en 2013 (n°2, page 195), et consacrĂ© au contexte et innovations de la constitution guinĂ©enne de 2010, jâavais analysĂ© les conditions (contraintes financiĂšres et de temps, en particulier) dans lesquelles cette constitution a Ă©tĂ© rĂ©digĂ©e et qui explique le non-recours au rĂ©fĂ©rendum.
Lâoccasion serait donc opportune de restaurer le Peuple dans ses prĂ©rogatives de dĂ©tenteur du pouvoir constituant originaire.
Par ailleurs, la constitution de 2010 est souvent critiquĂ©e pour son manque de clartĂ© quant Ă la dĂ©finition des rapports entre le PrĂ©sident de la RĂ©publique et le Premier ministre (dont la fonction a Ă©tĂ© pour la premiĂšre fois constitutionnalisĂ©e), notamment en matiĂšre de nomination des cadres de lâadministration publique, des forces de dĂ©fense et de sĂ©curitĂ© et de conduite du dialogue avec les partenaires sociaux.
En particulier au niveau des attributions, une confusion sâest glissĂ©e dans la rĂ©daction des articles 45 alinĂ©a 4 et 52 alinĂ©a 2 : alors quâelle dĂ©clare que ââle PrĂ©sident de la RĂ©publique dĂ©termine et contrĂŽle la conduite de la politique de la Nationââ (article 45 alinĂ©a 4), la constitution affirme dans le mĂȘme temps que ââle premier ministre est chargĂ© de diriger, de contrĂŽler, de coordonner et dâimpulser lâaction du gouvernementââ (article 52 alinĂ©a 2).
Une clarification sâimpose dâautant plus que le Premier ministre, nommĂ© par le PrĂ©sident de la RĂ©publique, est responsable devant celui-ci qui peut le rĂ©voquer (articles 52 et 53 de la constitution de 2010).
Le monopole des candidatures aux Ă©lections politiques nationales par les partis politiques, repris en 2010 de la Loi fondamentale de 1990, est aussi dĂ©criĂ© parce que contraire aux droits civiques de tout citoyen. Il faut signaler Ă cet Ă©gard que par un arrĂȘt du 14 juin 2013 (affaire RĂ©vĂ©rend Christopher R. Mtikila), la Cour africaine des droits de lâHomme et des Peuples siĂ©geant Ă Arusha, a condamnĂ© la RĂ©publique Unie de Tanzanie pour violation de lâĂ©galitĂ© devant la loi et du droit Ă la non-discrimination.
La constitution reflĂšte le vĂ©cu dâun Peuple, elle doit dĂšs lors sâadapter aux rĂ©alitĂ©s socio-politiques, amĂ©liorer la gouvernance du pays sur les plans politique et administratif.
Dans le cadre du dĂ©bat, certains ont proposĂ© le tripartisme dans la nouvelle constitution ou une prĂ©sidence collĂ©giale avec les trois candidats arrivĂ©s en tĂȘte aprĂšs lâĂ©lection prĂ©sidentielle. Aussi intĂ©ressantes quâelles paraissent, ces propositions ont dĂ©jĂ Ă©chouĂ© en Afrique dans les annĂ©es 1960-1970 : au SĂ©nĂ©gal avec le tripartisme idĂ©ologique expĂ©rimentĂ© par le PrĂ©sident Senghor, et au BĂ©nin avec le trio prĂ©sidentiel formĂ© de Maga, AhomadegbĂ© et Apity (que les DahomĂ©ens de lâĂ©poque ont ironiquement appelĂ© le serpent Ă trois tĂȘtes).
Au-delĂ des griefs que les uns et les autres peuvent allĂ©guer Ă lâencontre de la constitution de 2010, force est de reconnaitre que les diffĂ©rents accords politiques conclus ont mis en mal les fondements juridiques du pays. Une rĂ©flexion sâimposerait dans le cadre dâune nouvelle constitution pour refonder lâEtat de droit, hors de la pression dâune Ă©lection prĂ©sidentielle Ă tenir dans lâimmĂ©diat, et ce dans le sens dâune modernisation plus accrue des institutions.
Lâoccasion serait opportune pour Ă©voquer, en plus des problĂšmes ci-dessus, dâautres questions comme la notion dâinstitutions rĂ©publicaines Ă©tendue aujourdâhui Ă toutes les institutions crĂ©Ă©es par la constitution. La mode constitutionnelle des annĂ©es 1990 avait conduit Ă lâinsertion dans la constitution de structures dâEtat chargĂ©es de lâexĂ©cution de services publics relevant traditionnellement de lâadministration publique. Il faut clarifier les choses pour ne retenir que les institutions inhĂ©rentes Ă lâexistence mĂȘme de lâEtat Ă travers ses fonctions dĂ©coulant de la sĂ©paration des pouvoirs. Lâincidence financiĂšre de la multiplication des institutions constitutionnelles devrait ĂȘtre apprĂ©ciĂ©e.
Par ailleurs, il faudrait tirer les leçons :
de la pratique de certaines dispositions comme la dĂ©claration de politique gĂ©nĂ©rale du Premier ministre aprĂšs sa nomination (article 57 de la constitution) : le vĂ©cu de cette prescription constitutionnelle invite Ă revoir le mĂ©canisme de façon Ă permettre Ă lâAssemblĂ©e nationale, Ă travers une rĂ©solution, de donner son apprĂ©ciation gĂ©nĂ©rale de la politique prĂ©sentĂ©e et de faire des suggestions au gouvernement.
de la qualitĂ© de la production lĂ©gislative quand on sait de lâAssemblĂ©e Nationale ne travaille quâau cours de deux sessions ordinaires de six mois en tout sur douze, hormis quelques sessions extraordinaires ;
du fonctionnement de certaines institutions comme la Cour constitutionnelle dont les crises internes ont largement affectĂ© la crĂ©dibilitĂ© : la composition et surtout le renforcement du contrĂŽle du respect des rĂšgles de dĂ©signation des membres pourraient ĂȘtre revus.
Dans lâeuphorie de lâĂ©tablissement de la constitution de 2010, certaines dispositions qui relĂšvent normalement de lois organiques ou ordinaires, y ont Ă©tĂ© insĂ©rĂ©es. Câest le cas, par exemple, de la composition du Conseil supĂ©rieur de la magistrature, si bien que la rĂ©forme de la composition dudit conseil arrĂȘtĂ©e au cours dâun atelier organisĂ© avec lâassistance dâun expert de lâUnion EuropĂ©enne, nâa pu ĂȘtre mise en Ćuvre.
Ce serait aussi lâoccasion dâagir en consolidation et renforcement des droits des citoyens au plan du respect de leur intĂ©gritĂ© physique, du droit Ă un procĂšs Ă©quitable dans un dĂ©lai raisonnable, etc. Le principe de la laĂŻcitĂ© de lâEtat devrait ĂȘtre proclamĂ© avec force. Et surtout, la question importante de la paritĂ© homme-femme, qui vient de faire lâobjet dâune loi, devrait ĂȘtre abordĂ©e dans lâoptique de la conciliation entre les principes dâĂ©galitĂ© et dâĂ©quitĂ© par rapport au genre dans les organes et assemblĂ©es dĂ©libĂ©rants.
La vocation panafricaniste de la GuinĂ©e, consacrĂ©e par les constitutions de 1958 et 1982, mais abandonnĂ©e dans les constitutions de 1990 et 2010, pourrait ĂȘtre rĂ©affirmĂ©e.
Sur la procédure à suivre
Le dĂ©bat ne concernant pas une rĂ©vision de la constitution de 2010 mais lâĂ©tablissement dâune nouvelle constitution, les dispositions des articles 152 Ă 154 de la constitution relatives Ă la procĂ©dure et aux limites matĂ©rielles et temporelles de la rĂ©vision, ne peuvent trouver Ă sâappliquer.
LâĂ©laboration dâune nouvelle constitution, Ă lâinitiative du PrĂ©sident de la RĂ©publique, a donc pour base lĂ©gale lâarticle 51 de la constitution qui dispose que :
« Le PrĂ©sident de la RĂ©publique peut, aprĂšs avoir consultĂ© le PrĂ©sident de lâAssemblĂ©e Nationale, soumettre Ă rĂ©fĂ©rendum tout projet de loi portant sur lâorganisation des pouvoirs publics, sur la protection et la promotion des libertĂ©s et droits fondamentaux, ou lâaction Ă©conomique et sociale de lâEtat, ou tendant Ă autoriser la ratification dâun traitĂ©.
Il doit, si lâAssemblĂ©e Nationale le demande par une rĂ©solution adoptĂ©e Ă la majoritĂ© des deux tiers des membres qui la composent, soumettre Ă rĂ©fĂ©rendum toute proposition de loi portant sur lâorganisation des pouvoirs publics ou concernant les libertĂ©s et les droits fondamentaux.
Avant de convoquer les Ă©lecteurs par dĂ©cret, le PrĂ©sident de la RĂ©publique recueille lâavis de la Cour constitutionnelle sur la conformitĂ© du projet ou de la proposition Ă la constitution.
En cas de non-conformitĂ©, il ne peut ĂȘtre procĂ©dĂ© au rĂ©fĂ©rendum.
Lorsque le rĂ©fĂ©rendum a conclu Ă lâadoption du projet ou de la proposition, la loi ainsi adoptĂ©e est promulguĂ©e dans les conditions prĂ©vues Ă lâarticle 78 ».
Contrairement Ă ce qui a pu ĂȘtre soutenu, le pouvoir du PrĂ©sident de la RĂ©publique de proposer une nouvelle constitution Ă la consultation populaire repose sur lâarticle 51 et non sur les articles 2 alinĂ©a 1er et 21 alinĂ©a 1er de la constitution de 2010, qui sont relatifs Ă la souverainetĂ© du Peuple dans la libre dĂ©termination de ses choix politiques, donc autorisent le recours aux consultations populaires.
De ce texte, il rĂ©sulte que lâinitiative du rĂ©fĂ©rendum constitutionnel appartient concurremment au PrĂ©sident de la RĂ©publique (alinĂ©a 1er) et Ă lâAssemblĂ©e Nationale (alinĂ©a 2).
Le rĂ©fĂ©rendum doit, dans son objet, porter notamment sur lâorganisation des pouvoirs publics ou sur la promotion et la protection des libertĂ©s et droits fondamentaux. Or de par son essence, la constitution, au sens matĂ©riel, est lâensemble des rĂšgles relatives Ă la dĂ©volution et Ă lâexercice du pouvoir politique, donc des rĂšgles relatives aux organes de lâEtat, Ă leur dĂ©signation, Ă leur compĂ©tence et Ă leur fonctionnement.
DâaprĂšs le dictionnaire du droit constitutionnel (9Ăšme Ă©dition, Sirey, 2013, page 277), lâexpression ââpouvoirs publicsââ est ââsusceptible de recevoir un sens plus ou moins extensif selon que seront considĂ©rĂ©s les seuls organes publics constitutionnels, tels quâils sont instituĂ©s par la constitution, ou bien les pouvoirs publics en gĂ©nĂ©ral, câest-Ă -dire lâensemble des organes qui, au nom dâune collectivitĂ© publique, exercent lâautoritĂ© en recourant Ă des prĂ©rogatives de puissance publiqueââ
Cf aussi le lexique de politique, 7Ăšme Ă©d. Dalloz 2001, page 333
le lexique des termes juridiques, Ă©dition 2017-2018, page 828.
Lâarticle 51 de la constitution pourrait donc servir de base juridique Ă un rĂ©fĂ©rendum portant sur une nouvelle constitution eu Ă©gard Ă son contenu (organisation des pouvoirs publics, droits et devoirs des citoyens, etc.).
Cependant dans lâexercice de cette attribution constitutionnelle, le PrĂ©sident de la RĂ©publique doit respecter une double formalitĂ© substantielle :
la consultation prĂ©alable du PrĂ©sident de lâAssemblĂ©e nationale pour un avis consultatif (non conforme) sur le projet de rĂ©fĂ©rendum constitutionnel ;
lâavis conforme de la Cour constitutionnelle sur le projet avant la convocation du corps Ă©lectoral par dĂ©cret.
Ces formalités accomplies, le référendum constitutionnel peut valablement avoir lieu.
Selon les articles 51 alinéa 5 et 93 alinéa 3 de la constitution, la Cour constitutionnelle veille à la régularité des opérations de référendum et en proclame les résultats définitifs.
Dans ses attributions consultatives, la Cour constitutionnelle est ainsi amenĂ©e Ă contrĂŽler la rĂ©gularitĂ© des actes prĂ©paratoires qui conditionnent le bon dĂ©roulement du rĂ©fĂ©rendum : il sâagit dâun contrĂŽle a priori. Elle ne peut cependant, par la voie juridictionnelle, se prononcer sur la constitutionnalitĂ© dâune loi rĂ©fĂ©rendaire au mĂȘme titre que les lois organiques et ordinaires : aucune intervention nâest prĂ©vue avant la promulgation de la loi rĂ©fĂ©rendaire, acte du peuple dĂ©tenteur du pouvoir constituant originaire. Seules les lois organiques ou ordinaires modifiant une loi rĂ©fĂ©rendaire entrent dans le champ de compĂ©tence juridictionnelle de la Cour constitutionnelle.
En dĂ©finitive, le dĂ©bat actuel doit ĂȘtre conduit avec sĂ©rĂ©nitĂ©, sans passion ; lâintoxication et les menaces ne doivent ĂȘtre de mise comme on le constate sur le web et les rĂ©seaux sociaux : la qualitĂ© du dĂ©bat doit reposer sur la confrontation des idĂ©es, de façon Ă Ă©clairer le peuple sur les enjeux de toute consultation populaire.
Il appartient Ă lâĂ©lite dâagir avec moins de subjectivitĂ© et plus dâobjectivitĂ©, car la dĂ©cision appartient au Peuple, en application des articles 2 alinĂ©a 1er, 21 alinĂ©a 1er, 51 alinĂ©as 1er et 2 et 152 alinĂ©a 2 de la constitution de 2010.
Pour accĂ©der Ă lâindĂ©pendance politique, le Peuple de GuinĂ©e a dit non au rĂ©fĂ©rendum constitutionnel proposĂ© en 1958 par le GĂ©nĂ©ral de Gaulle ; il a approuvĂ© par rĂ©fĂ©rendum la constitution de 1990 et sa rĂ©vision de 2001. Câest la vox populi quâil conviendrait de respecter.
Nos populations ont acquis une certaine maturité grùce aux moyens de communication modernes : il faut donc édifier leur opinion et les laisser décider.
Tels me paraissent ĂȘtre, dans la forme comme dans le fond, les enjeux du dĂ©bat actuel qui doit rester concentrĂ© sur la question dâune nouvelle constitution, question Ă ne pas confondre avec celle dâune Ă©ventuelle candidature du PrĂ©sident en fonction Ă un troisiĂšme mandat. Le PrĂ©sident en exercice ne sâĂ©tant pas encore prononcĂ© sur la question, le dĂ©bat sur ce point se fera en temps opportun.