CONAKRY. – Ils étaient venus en habits de lumière, sourires aux lèvres et discours plein les poches. Ce mardi 11 novembre, les dignitaires ont célébré en grande pompe le lancement de l’exploitation de Simandou, ce serpent de fer enfoui dans les montagnes guinéennes, promesse vieille de vingt ans enfin tenue. Le premier minerai a quitté le port de Morebaya. La Guinée entre dans la cour des géants du fer. Mais derrière les fumées des chantiers et l’éclat des cérémonies, une ombre plane : celle de la malédiction des matières premières, ce poison qui transforme trop souvent l’or en poussière.
Le projet est titanesque. Vingt milliards de dollars investis. 650 kilomètres de voie ferrée tracés à travers le pays. Une production annuelle visée de 120 millions de tonnes. De quoi propulser la Guinée au rang de premier exportateur mondial de minerai de haute qualité. Le Fonds monétaire international esquisse des projections vertigineuses : jusqu’à 26 % de croissance du PIB d’ici 2030, les exportations minières potentiellement doublées. Le programme « Simandou 2040 » promet, sur papier, une transformation structurelle : 122 projets, 36 réformes, cinq piliers de développement. La route vers l’émergence, enfin pavée de fer.
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Les fantômes de la bauxite
Pourtant, à la veille des célébrations, un rapport du Conseil national de transition est venu jeter un froid. Il évoque 100 millions de dollars manquants, issus du ticket d’entrée du chinois BAOWU dans le projet. Une somme qui n’apparaîtrait pas dans les comptes publics. Comme un mauvais présage.
Car la Guinée connaît déjà la mélodie de l’abondance minière. Elle est déjà le premier exportateur mondial de bauxite. Pourtant, malgré une croissance économique soutenue, la pauvreté a gagné du terrain : 1,8 million de personnes supplémentaires sont tombées dans la précarité entre 2019 et 2024. Le secteur minier pèse 20 % du PIB, mais ne représente que 6,5 % des emplois. Les rapports s’accumulent pour décrire les failles béantes d’un système : favoritisme dans les conventions, manipulation des prix et des volumes, collusion entre entreprises et administration.
Le mirage de la richesse partagée
Les institutions internationales applaudissent, mais avec réserve. Le FMI prévient : sans politique active, Simandou ne réduirait la pauvreté que de 0,6 point, et pourrait même accroître les inégalités. La Banque mondiale souligne que même avec des réformes, les recettes publiques resteraient en deçà des standards régionaux. L’avertissement est limpide : la valeur ne réside pas dans le minerai, mais dans la capacité de l’État à la transformer en progrès tangible.
Aujourd’hui, les autorités n’ont toujours pas publié la convention signée avec les consortiums majoritairement chinois. Le secret persiste, comme si l’on craignait que la lumière ne révèle des faiblesses structurelles. Le programme Simandou 2040 peut-il vraiment éviter les écueils qui ont transformé la manne de la bauxite en mirage pour les populations ?
Le lancement de Simandou n’est pas une fin, mais un commencement. Celui d’un test crucial pour la Guinée. Le pays tient entre ses mains non seulement du minerai à 65 % de fer, mais l’opportunité de briser le cycle infernal où l’abondance nourrit la pauvreté. Les trains chargés de fer quittent maintenant les montagnes. Reste à savoir s’ils emporteront avec eux les vieux démons de la gouvernance, ou s’ils traceront enfin la voie d’une prospérité partagée.
