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Handicap: des Centrafricains de la clinique au terrain de basket

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Soudain, les joueurs s’Ă©lancent. Passe. Esquive. Feinte. Ce pourrait ĂŞtre un entraĂ®nement de basket comme un autre, mais ici, le bruit des chaussures de sport est remplacĂ© par le glissement des roues sur l’asphalte brĂ»lant.

Autour du ballon, se livre un ballet de fauteuils virevoltants emmenĂ©s par les bras d’acier de leurs propriĂ©taires. Demi-tour Ă  pleine vitesse, en Ă©quilibre sur une roue…

En Centrafrique, le basket est un sport national. MalgrĂ© le manque de moyens dans un des pays les plus pauvres du monde, l’Ă©quipe handisport n’est pas en reste: elle est mĂŞme devenue vice-championne d’Afrique de basket handisport en 2001.

Idriss Feissal, membre de l’Ă©quipe nationale depuis 2003, coache les cinq sportifs Ă  l’entraĂ®nement sur ce petit terrain Ă©garĂ© dans la capitale.

« Allez ! Plus long! » harangue ce quadragĂ©naire aux biceps d’haltĂ©rophile, clouĂ© Ă  son fauteuil depuis qu’il a cinq ans. Ses Ă©lèves redoublent d’efforts. « Quand tu travailles le physique, ton handicap change », insiste-t-il.

Un handicap particulièrement difficile Ă  vivre dans ce pays oĂą les infrastructures manquent. Pour se rendre Ă  l’entraĂ®nement, les joueurs et joueuses doivent parcourir plusieurs kilomètres sur des avenues constellĂ©es de crevasses et des allĂ©es de terre dĂ©foncĂ©e, sous un soleil Ă©crasant.

« Parfois, ils finissent par abandonner », dĂ©plore Idriss, qui a lui-mĂŞme conçu un tricycle Ă  pĂ©dales spĂ©cialement adaptĂ© aux handicapĂ©s. Mais bien peu d’habitants ont les moyens de s’offrir un de ces appareils.

– HandicapĂ© par la guerre –

A Bangui, toutefois, existe une clinique discrète oĂą les personnes atteintes de handicaps moteurs peuvent trouver du secours: le centre de l’Association Nationale de Rééducation et d’Appareillage de Centrafrique (Anrac), fondĂ©e en 1997. Une structure unique dans un pays ravagĂ© par trois guerres civiles, oĂą des milliers de personnes ont Ă©tĂ© victimes de sĂ©quelles post-conflit.

Assis sur un banc de bois Ă  l’entrĂ©e de ce petit bâtiment, Eddy Ngalikossi, 40 ans, exhibe avec satisfaction la prothèse qui lui a sauvĂ© la vie.

Ce commerçant en informatique s’apprĂŞtait Ă  quitter son magasin quand les rebelles de la SĂ©lĂ©ka, la coalition Ă  dominante musulmane qui venait de s’emparer de la capitale en 2013, lui ont tirĂ© dessus. TransportĂ© Ă  l’hĂ´pital et amputĂ©, il s’est retrouvĂ© sans emploi pour nourrir ses enfants.

« Quand c’est arrivĂ©, je savais que pour moi, c’Ă©tait fini », assure-t-il.

A l’Ă©poque, le pays est plongĂ© dans le chaos, et ses infrastructures de santĂ© embryonnaires sont dĂ©passĂ©es.

Mais depuis 2013, l’Anrac bĂ©nĂ©ficie du soutien du ComitĂ© international de la croix rouge (CICR), qui finance les Ă©quipements et la formation des personnels.

Juste derrière la salle d’accueil, se cache un atelier enveloppĂ© de poussière blanche oĂą une dizaine de techniciens poncent, dĂ©coupent, et fixent des prothèses sur mesure pour les patients.

– IsolĂ©s par le handicap –

Vient ensuite le temps de l’apprentissage : marcher sur un terrain plat, accidentĂ©, Ă  monter un escalier, Ă  s’assoir dans les minibus toujours bondĂ©s… « Aujourd’hui, je peux marcher avec une canne », se rĂ©jouit Eddy.

Mais ce travail de fabrication et de rééducation demande du temps. Et les 339 patients accueillis par le centre en 2019 sont une goutte d’eau au regard du nombre souffrant de handicaps ou de sĂ©quelles post-conflit identifiĂ©s par l’Organisation mondiale de la santĂ© (OMS) dans le pays : environ 30.000 personnes chaque annĂ©e. Un chiffre qui pourrait encore ĂŞtre sous-estimĂ© selon le docteur Godefroy BombaĂŻda, directeur du centre.

« Depuis la crise, le nombre de personnes amputées a triplé », assure-t-il.

Les problèmes d’infrastructures limitent la prise en charge des patients en province. Et Ă  Bangui, rares sont les personnels assez formĂ©s pour assurer la construction des prothèses et le suivi des patients.

La construction d’un nouveau centre, avec une capacitĂ© d’accueil de 1.700 personnes, est prĂ©vue pour le mois de mai 2020. Celui-ci devrait aussi permettre d’assurer une prise en charge psychologique pour ces personnes souvent isolĂ©es socialement.

« La famille, c’est pas facile. Si tu as les moyens, ça va. Mais si tu en es dĂ©pourvu, qui s’approchera de toi? », s’agace Eddy. « Quand j’ai perdu ma jambe, j’ai pensĂ© Ă  me suicider. Et je connais plusieurs handicapĂ©s qui se sont suicidĂ©s, Ă  cause de ce manque de soutien ».

Idriss, lui aussi, a vĂ©cu cet isolement. « Dans le quartier, tout le monde me nĂ©gligeait. C’est grâce aux compĂ©titions que j’ai rencontrĂ© ma femme, et fondĂ© une famille », explique-t-il. « Maintenant, je voyage. Ceux qui me nĂ©gligeaient, ils sont encore au quartier! »

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