Confidences de Damaro : « le Président Alpha Condé n’est pas contre la limitation des mandats… »

Pourquoi la majorité présidentielle soutient-elle le projet d’une nouvelle Constitution ? Amadou Damaro Camara vient à nouveau de lever un coin…

Pourquoi la majorité présidentielle soutient-elle le projet d’une nouvelle Constitution ? Amadou Damaro Camara vient à nouveau de lever un coin du voile sur les motivations du Président Alpha Condé. Dans cette interview, le chef de file de la majorité présidentielle a livré certains « secrets » liés à ce projet qui continue de diviser la classe politique guinéenne. Exclusif !!!

 

AFRICAUINEE.COM : Le Président Alpha Condé a déclaré ce dimanche je cite : « personne en Guinée ne m’empêchera d’aller devant le peuple pour lui demander ce qu’il veut ». Peut-on dire qu’aujourd’hui, il est dans l’optique de soumettre une nouvelle Constitution au peuple de Guinée ? 

AMADOU DAMARO CAMARA : Les intellectuels guinéens faussent souvent le débat. Je crois que l’une des invites du Président de la République, c’est de relever le niveau du débat. Un texte de loi à connotation politique, il faut considérer qu’il repose sur trois socles. Il y a le contexte de la Loi, il y a l’esprit de la Loi avant la lettre de la Loi. Le contexte de la constitution actuelle, je ne cracherais pas sur elle puisque j’ai eu le privilège de participer à son élaboration dans le cadre du CNT, Conseil National de la Transition, qui était une constituante. A l’unanimité, il a fallu ce corps pour réfléchir et aider le pays à revenir à la normalité constitutionnelle.

Nous avons fait une Constitution qui a eu le mérité d’élire deux fois le Président de la République, qui a eu le mérite d’élire une Assemblée Nationale, qui a eu le mérite de faire organiser des élections communales. Mais, elle a été faite dans un contexte où la Guinée avait besoin d’un papier, d’un texte pour que les militaires qui avaient commis les massacres du 28 Septembre quittent pour rentrer dans les casernes. Pour donner une tête au pays, il fallait aller très vite pour ne pas que la Guinée aille dans le gouffre. Cette constitution avait même un calendrier. Donc elle a eu le mérite, mais elle aura vécu. Toute constitution dans le monde est la seule émanation du peuple qui est souverain. Aujourd’hui, si l’Assemblée française vote, la Constitution de la cinquième république sera modifiée pour la 24èmefois. La Constitution américaine a été amandée 27 fois. Donc, il faut qu’on sépare le débat. Est-ce que cette Constitution sur laquelle je ne vais pas cracher donne-t-elle la possibilité au Président de la république de proposer une Constitution au peuple de Guinée ? La réponse est positive « OUI ». Il doit le faire par voie référendaire.

La Constitution actuelle ne se réfère pas du tout au panafricanisme, alors que même notre hymne dit que la Guinée est prête à renoncer à sa souveraineté pour faire la souveraineté africaine. Il n’y a aucune référence sur ça dans cette constitution. Toute constitution aussi est généralement un texte synthétique et des lois organiques font l’analytique de la création et du fonctionnement des institutions républicaines. Notre constitution actuelle annonce non seulement les institutions républicaines, mais commence à rentrer dans le détail de leur érection et de leur fonctionnement pour s’arrêter à mi-chemin. De telle manière qu’à chaque fois qu’on a essayé d’avoir une Loi organique à l’Assemblée Nationale pour créer une institution républicaine, on s’est heurté à des articles de la Constitution qu’on ne peut pas toucher, mais qui n’aident pas au bon fonctionnement de nos institutions. Voici plusieurs raisons qui font que cette Constitution ne pouvait être qu’évolutive. A cause du contexte, à cause de l’esprit, à cause même de la lettre de cette constitution.

Maintenant, est-ce que cette nouvelle constitution doit permettre à un Président qui a fait deux mandats dans une troisième république de se présenter encore ? C’est un débat de juristes qu’ils tiendront en son temps. Mais on ne peut pas dire, parce qu’il a l’intention de faire ça, il perd le droit de proposer une Constitution.

Pourquoi c’est seulement maintenant, à moins de deux ans de la fin du dernier mandat d’Alpha Condé que vous prenez conscience de toutes ces tares de l’actuelle Constitution ? 

J’avoue que l’ai recommandé. Il (Alpha Condé, ndlr) devait le faire depuis 2012. Mais il a dit NON, il y a d’autres priorités, la Constitution n’est pas prioritaire, le pays est dans un tel gouffre, j’ai d’autres priorités. Sinon, il aurait dû le faire. Mais le guinéen est tellement politique, le guinéen aime tellement la politique politicienne que quatre mois à peine qu’il soit installé, on a commencé des manifestations. Même les élections législatives n’étaient pas une priorité. Je vais vous faire une confidence. Il m’a dit s’il savait dans quel abîme le pays est, il ne serait pas candidat. Parce qu’il était surpris de voir dans quel état était le pays. Donc, rien n’était prioritaire sauf ramener le pays du puits à la surface. Et quand on est à la surface, tout est normal et on oublie là où on était.

Sauf que là, l’adoption d’une nouvelle constitution donne l’impression que c’est un subterfuge pour permettre justement à Alpha Condé de rempiler de nouveau. Vous ne trouvez pas ? 

Ça doit se faire toujours à moment donné.  Sarkozy l’a fait en France durant son premier mandat, on a dit que c’est pour se faire réélire. Mais il n’a pas été réélu. Macron est en train d’en faire autant. Qu’il soit réélu ou pas, quel que soit le moment, pour une coépouse, le moment n’est pas bien choisi.

A votre avis, est-ce qu’on peut modifier cette Constitution sans toucher aux intangibilités ? 

Mais absolument ! On ne modifie pas la Constitution, on peut proposer une (nouvelle) Constitution. Et je vous assure que le président de la république n’est pas contre la limitation des mandats.

Le sujet divise quand même…

Oui parce que c’est la passion de la présidence qui intéresse l’opposition, il n’y a que les élections qui ont intéressé l’opposition jusque-là. Ils n’ont jamais rien proposé sur le développement, l’agriculture, les travaux publics, le social (…), Rien. Ils ne se prononcent que sur les élections.

Est-ce que ce projet d’une nouvelle constitution ne comporte pas des germes d’instabilité pour notre pays ? 

C’est pourquoi il faut laisser le peuple choisir librement. Chacun n’a qu’à s’adresser au peuple avec ses arguments. La nouvelle Constitution est bonne, elle n’est pas bonne, il faut laisser le peuple choisir. Qu’on ne se donne pas le droit de s’exprimer au nom du peuple.

Mais ce peuple ne s’était pas opposé à Cette constitution et à toutes ses dispositions en 2010…

C’est ce que dis, mais le contexte était tel qu’il fallait que les militaires rentrent dans les casernes. On n’avait même pas posé la question. On a fait représenter par tous les corps au CNT. On était 157 au CNT en 2010. Alors on a dit, nous sommes suffisamment représentatifs de la Guinée, faisons-ça. C’était le consensus. Maintenant qu’il veuille proposer une nouvelle Constitution, pourquoi on ne veut pas qu’on laisse le peuple décider? Ceux qui s’agitent pourquoi ils ne veulent pas s’adresser au peuple qui est le dernier rempart, le dernier décideur ? Ce n’est pas parce qu’on a fait une association d’amis, une association corporatiste, qu’on parle au nom du peuple de Guinée. On ne peut parler au nom d’un peuple que lorsque le peuple t’a désigné pour ça.

En moins d’une décennie, pensez-vous que ce peuple dont vous faites allusion est aussi assoiffé d’une nouvelle Constitution ? 

Tout le monde se plaint du fonctionnement des institutions. C’est parce qu’elles ont été très mal prévues dans l’ancienne Constitution. Ils n’ont pas laissé des lois organiques ou mieux les élaborer. En 2010, il y avait combien d’institutions républicaines en Guinée ? Il n’y avait que la Cour Suprême et le Conseil Economique et Social. On a une dizaine aujourd’hui, mais on avait dit que six mois après l’installation de l’assemblée nationale, il fallait créer neuf autres institutions républicaines. Ne pas pouvoir le faire, c’est déjà violer la constitution. Mais en réalité, est-ce qu’on pouvait le faire ? NON. Six mois après notre installation, on se retrouvait ici, on cherchait à trouver encore des bureaux à plus forte raison participé à la création d’autres institutions. Voici des réalités qui nous enjoignent aujourd’hui (…). Vous savez quand on dit qu’il ne faut pas faire des bâtiments trop chers, le peuple a faim, c’est vrai, mais quand on construisait le palais de Versailles, on mourrait encore de faim en France.