Un nombre de morts qui s’alourdit brutalement de près de 40%: le bilan chinois du coronavirus compte depuis vendredi près de 1.300 dĂ©cès supplĂ©mentaires, alors mĂŞme que les critiques s’accumulent Ă Paris, Londres et Washington envers la gestion de l’Ă©pidĂ©mie par PĂ©kin.
La ville de Wuhan (centre de la Chine), où le virus est apparu fin 2019, a révisé à la hausse sa totalisation du nombre des victimes du Covid-19, annonçant 1.290 décès supplémentaires.
Ce nouveau dĂ©compte porte Ă 4.632 le bilan des dĂ©cès enregistrĂ©s dans le pays le plus peuplĂ© du monde, trois mois après l’annonce d’un premier mort du coronavirus le 11 janvier.
Dans un communiquĂ©, la ville mise en quarantaine de fin janvier Ă dĂ©but avril a expliquĂ© qu’au plus fort de l’Ă©pidĂ©mie, certains patients Ă©taient dĂ©cĂ©dĂ©s chez eux faute de pouvoir ĂŞtre pris en charge par les hĂ´pitaux.
Ils n’avaient donc pas Ă©tĂ© comptabilisĂ©s jusqu’Ă prĂ©sent dans les statistiques officielles, qui ne prennent en compte que les personnes dĂ©cĂ©dĂ©es Ă l’hĂ´pital.
Commentant ces chiffres et les doutes venus de l’Ă©tranger quant Ă la maĂ®trise de l’Ă©pidĂ©mie sur le sol chinois, un porte-parole du ministère des Affaires Ă©trangères, Zhao Lijian, a reconnu « des retards, des omissions et des imprĂ©cisions » dans l’enregistrement des dĂ©cès. Mais il a dĂ©menti toute « dissimulation » de la part de PĂ©kin.
– « Questions difficiles » –
Le pouvoir chinois affirme avoir largement endiguĂ© l’Ă©pidĂ©mie mais, Ă l’Ă©tranger, de nombreuses voix mettent en doute le bilan des autoritĂ©s.
Le prĂ©sident français Emmanuel Macron a ainsi estimĂ© jeudi qu’il existait des zones d’ombre dans la gestion de l’Ă©pidĂ©mie par la Chine, dĂ©clarant au quotidien Financial Times qu’il y avait « manifestement des choses qui se sont passĂ©es qu’on ne sait pas ».
Le Royaume-Uni, par la voix de son ministre des Affaires Ă©trangères Dominic Raab, a averti PĂ©kin qu’il devrait rĂ©pondre Ă des « questions difficiles sur l’apparition du virus, et pourquoi il n’a pas Ă©tĂ© stoppĂ© plus tĂ´t ».
L’administration amĂ©ricaine accuse de son cĂ´tĂ© depuis des semaines le rĂ©gime communiste d’avoir « dissimulé » la gravitĂ© de l’Ă©pidĂ©mie.
– Transparence totale –
La rĂ©vision annoncĂ©e vendredi reste très en-deçà de certaines estimations qui circulent en Occident, relève le sinologue Jean-Pierre Cabestan, de l’UniversitĂ© baptiste de Hong Kong.
Elle ne suffira pas « à juguler les doutes dans le reste du monde Ă l’Ă©gard des chiffres chinois », ajoute-t-il, notant que le bilan affichĂ© par PĂ©kin est largement infĂ©rieur Ă celui des pays europĂ©ens, pourtant beaucoup moins peuplĂ©s.
Si Wuhan et sa province, le Hubei, ont été placées en quarantaine à partir du 23 janvier, des milliers de personnes potentiellement contaminées ont pu se répandre dans le reste du pays avant cette date, souligne le sinologue.
Quant Ă l’armĂ©e, largement mobilisĂ©e Ă Wuhan pour combattre le virus, elle ne compte officiellement aucun cas de contamination dans ses rangs, s’Ă©tonne-t-il.
En relevant le bilan, le rĂ©gime cherche « à projeter une image de transparence totale », relève le sinologue Willy Lam, de l’UniversitĂ© chinoise de Hong Kong. Mais la totalisation pourrait s’envoler si toutes les provinces rĂ©visent Ă leur tour leurs bilans, prĂ©voit-il.
– Dents de scie –
Avec un système politique qui pousse Ă cacher les mauvaises nouvelles, les autoritĂ©s locales ont dans un premier temps tentĂ© d’Ă©touffer l’information.
Des mĂ©decins qui avaient alertĂ© leur entourage ont Ă©tĂ© convoquĂ©s par la police. L’un d’entre eux, le docteur Li Wenliang, dĂ©cĂ©dĂ© du Covid-19 dĂ©but fĂ©vrier, fait dĂ©sormais figure de hĂ©ros national.
La comptabilisation des cas de contamination a depuis Ă©voluĂ© en dents de scie. Mi-fĂ©vrier, elle a brusquement augmentĂ© de 15.000, lorsque les autoritĂ©s du Hubei ont dĂ©cidĂ© d’inclure les malades dĂ©pistĂ©s « cliniquement », par exemple via une radio des poumons.
Mais ces patients ont finalement été retirés des statistiques à la fin du même mois.
Plus récemment, le ministère de la Santé a commencé à dénombrer les porteurs asymptomatiques du virus, à savoir ceux qui sont contaminés sans être malades.
Sur les rĂ©seaux sociaux, la plupart des commentateurs saluaient la rĂ©vision des statistiques, avec parfois une pointe d’insolence en direction du pouvoir: « on dirait que vous ressentez la pression de l’Ă©tranger, non? Pas facile d’embrouiller tout le monde avec cette Ă©pidĂ©mie… Il vaudrait mieux ĂŞtre honnĂŞte ».