La comptabilité macabre continue. Maintenant que les enseignants ont quitté le pavé, les leaders de l’opposition, galvanisés par leur exploit, entendent bien profiter de ce moment de flottement. La publication de résultats électoraux qui leur soient favorables les obnubile tellement qu’ils ne voient plus qu’en face, le seul moyen privilégié pour se maintenir est désormais l’épreuve de force.
Qui perd gagne, c’est désormais le jeu favori de nos politiques. Autour d’une table, c’est ce jeu où les adversaires conviennent que celui qui perdra en respectant les règles ordinaires gagne la partie. Cette nouvelle trouvaille de nos acteurs permet de transformer un échec apparent en avantage réel. Autour d’une table, c’est un jeu plaisant dans lequel on rivalise d’esprit et de morale. Mais en politique, le jeu n’est pas un jeu. L’enjeu est énorme et le prix à payer est, par ici, la vie de militants arrachée dans la fleur de l’âge. Les familles sont endeuillées et le tissu social se distend dangereusement.
La mauvaise gestion de la grève des enseignants aura démontré à la face de la Nation que l’Etat est une tortue et le gouvernement n’existe que de façade. Pour preuve celui qui le représentait dans la salle du 28 septembre, le ministre du budget, a été hué et conspué. Saïd Fofana, Taliby Sylla, Gassama Diaby et Tibou Camara n’était présent en réalité qu’en qualité de ressources, voire de personnes-institution. Le gouvernement ? Exclu de la table des accords et renvoyé dans les cordes de ses propres balbutiements et arrogance. La télé nationale, véritable voix de son maître, a subi un sort semblable, n’étant restée dans la salle que grâce à la voix de journalistes travaillant pour un groupe dont les malheurs délectent pourtant son directeur.
L’accouchement aux forceps de l’accord qui a mis fin à la grève est intervenu au lendemain d’une journée où la bêtise politique, magnifiée par des partisans agités du pouvoir, irrité les enseignants et redonné du poil de la bête aux syndicalistes. En fin de compte c’est l’Etat qui s’est retrouvé dans de petits souliers, lâchant même sur ce qui était inespéré pour ces derniers. On l’a compris à leur jubilation, et au silence du RPG AEC dont les sorties inconsidérées, lundi, ont desservi le président.
Tout cela, l’opposition l’a observé et compte bien embrayer là-dessus. Les manifestations lancées tous azimuts ont pour but de contraindre le pouvoir à ouvrir un dialogue. Ça tombe bien, le chef de l’Etat ne l’avait-il pas proposé dans sa dernière adresse à la Nation ? Il y a donc une occasion à saisir, et les médiateurs de la dernière crise devraient aussitôt s’en saisir.
Il est vrai que la compétition entre jets de pierres et baïonnettes est une science bien maitrisée depuis 2010. Le seul problème est le prix exorbitant que nous payons dans notre chair, puisque le décompte macabre devient insoutenable. Le double meurtre lâche de Boubacar Barry et de Baïlo Diallo dans la journée de mercredi nous enfonce un peu plus dans la désolation, la frustration et la haine. La justice guinéenne, si elle existe, brillera encore par son silence, et nos services de sécurité par leur compromission.
Il faut donc savoir raison gardée, une bête blessée se cabre et tente dans un dernier instinct de survie d’emporter le chasseur avec elle. La confrontation violente endeuille nos familles et, en réalité, offre à quelques zélés de faire affaire en cette périodes de troubles. L’opposition devrait changer de stratégie, et face à un gouvernement moribond dont tout le monde convient qu’il est dépassé par les événements, se montrer plus stratège. Ne lui parler que ce langage enfoncera indubitablement notre pays dans un cycle infernal. Soumah et compagnie viennent de nous en dispenser la leçon.
Face à l’injustice et l’arbitraire, le silence n’est pas acceptable. Mais il faut aussi être vivant pour mener à bien son combat.