Le président du parti Union des Forces Démocratiques (UFD) qui a pourtant soutenu le chef de l’Etat en 2015 critique la manière par laquelle la Guinée est gérée sous le magister de l’ancien opposant historique. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, l’opposant dénonce le « mariage » RPG-UFDG dans la violation des lois du pays. Constitution, troisième mandat, communales, élections législatives, Baddiko parle.
Monsieur Baadiko, Comment se porte votre parti, l’UFD ?
Notre parti ne se porte pas mal. Surtout dans ce contexte de défiance totale de la population face aux partis politiques. Pour mobiliser des militants, nous n’avons pas choisi la facilité : les discours ethniques, la démagogie et les fausses promesses ou encore la corruption. Nous observons que depuis un certain temps, de plus en plus de citoyennes et de citoyens adhèrent aux idéaux de l’UFD et s’engagent dans la lutte pour une Guinée fraternelle, progressiste, débarrassée de la corruption et des injustices. Un peu partout à travers le territoire et à l’étranger, de nouveaux militants viennent à l’UFD.
Récemment vous avez exprimé des griefs sur la constitution de 2010. Selon vous quels sont ces manquements ?
Je ne crois pas avoir dit que la Constitution de 2010 soit mauvaise. Au contraire, elle contient beaucoup de dispositions éminemment progressistes. Avant de parler de révision constitutionnelle, il faut d’abord voir ce qu’on a fait du texte existant. Or, de très nombreuses dispositions de cette constitution sont ouvertement et insolemment violées par le pouvoir du RPG et son acolyte l’UFDG. Ainsi, les articles 3 à 8 relatifs à l’égalité des droits et devoirs des citoyens indépendamment de leur race, religion, langue, opinions politiques et religieuses, sont ouvertement violés de façon flagrante et permanente. Ce n’est plus le principe de l’Etat unitaire qui est appliqué, mais le communautarisme, avec son corollaire, la discrimination, l’exclusion et le favoritisme. Tout le système politique dominant aujourd’hui est basé sur la féodalité. L’Etat de droit pour ainsi dire, n’existe plus en Guinée. A la place du libre choix démocratique des citoyens, nous avons des chefaillons non élus, auto-proclamés qui s’arrogent la détention de la souveraineté du peuple et qui dictent même des lois !
Tous les partis dominants du co-dominium politico-ethnique RPG-UFDG sont des émanations de ces regroupements communautaires nourris par eux. L’autre violation flagrante de la constitution est l’article 36 relatif à la déclaration des biens du personnel dirigeant. Cette situation scandaleuse illustre bien la nature de l’Etat actuel : ultra-corrompu et prébendier. L’enrichissement illicite est de règle et totalement impuni, avec une gestion totalement opaque. Les scandales à dizaines de milliards volés sont révélés presque quotidiennement dans tout le système étatique (finances publiques, impôts, douane, sociétés minières, banque centrale, sociétés d’Etat et jamais la vérité n’a été révélée là-dessus et les coupables éventuels punis. Le gouvernement guinéen compte même en son sein des délinquants et des délinquants présumés. Peut-on faire mieux ?
Comment l’opposition éviter les pièges de ce texte en 2020 ?
Dans les conditions actuelles, l’opposition, agissant en rangs dispersés et surtout chaussant les mêmes bottes que le pouvoir actuel, ne pourra rien faire pour l’empêcher. Pour mobiliser efficacement la population, il faut que l’opposition tire toutes les leçons de ses échecs du passé : les Forces Vives, le Collectif, Opposition républicaine, FDP, ADP, COEP, etc. Se mettre ensemble pour pratiquer le chacun pour soi ou le double jeu, vouloir utiliser les « autres » pour parvenir à ses fins en négligeant l’intérêt général est voué à l’échec. Vouloir transformer chaque alliance en « Comité de soutien » pour sa petite personne, tout ceci est un obstacle infranchissable sur la route de tout regroupement de l’opposition guinéenne. De façon claire et nette, si l’opposition veut se démarquer du pouvoir pour et offrir une alternative crédible au peuple de Guinée meurtri, elle devra donner des gages sérieux sur le respect des principes de l’Etat unitaire, non communautariste et surtout la lutte implacable contre la corruption et la prévarication du bien public. Dans le cas contraire, ce sera qu’un éternel recommencement.
Vous êtes très critiques à l’encontre d’Alpha Condé que vous aviez soutenu pourtant en 2015. Que lui-reprochez-vous ?
En 2015, le Président de la République semblait s’engager dans une dynamique de progrès et de lutte sans merci contre les tares héritées des régimes précédents. Il semblait avoir tiré les leçons de ses échecs au cours de son premier mandat. Malheureusement, au lieu de la poursuite les réformes et renforcer l’unité du pays, la situation a continué à se dégrader dans tous les domaines, jusqu’à rendre le pays pratiquement invivable pour ses pauvres habitants, avec un avenir encore plus sombre pour la jeunesse guinéenne, contraint d’aller se jeter en masse en Méditerranée. La Guinée n’a jamais été aussi éloignée de l’Etat de droit, de l’Etat unitaire et de la gestion honnête du bien public, pour le progrès du pays.
Comment peut-on expliquer qu’un an après les élections communales, on n’a pas fini d’installer les exécutifs des communes ?
Depuis fort longtemps, nous sommes installés dans un Etat de non-droit. Nous ne sommes plus sous l’empire de la loi et de là, toutes les dérives sont possibles. Vous avez vu l’utilisation éhontée de la corruption lors des élections d’exécutifs communaux. Vous avez vu toute cette violence qui a éclaté à travers tout le territoire pour l’installation des maires. L’unique raison de tous ces conflits, c’est que les élus ne viennent pas pour servir la population, mais pour se servir. C’est dramatique. En Guinée, faute de développement économique, la détention d’un pouvoir étatique quelconque (élu ou nommé par décret) est l’unique voie permettant à un citoyen d’exister. C’est très grave, car c’est cela la logique du Parti-Etat et de l’Etat prébendier. Nous sommes aux antipodes de la route du progrès. Toute l’élite est devenue une oligarchie, vivant du pillage de la rente minière, notre monoculture de toujours.
Pensez-vous que les élections législatives peuvent être organisées cette année quand on sait que les conseils de quartiers ainsi que les conseils régionaux ne sont pas installés?
Je crois que seul le pouvoir qui détient les moyens, contrôle le calendrier électoral. Et il viole systématiquement le principe légal de la fixité des mandats électifs, sauf à la présidentielle de 2015. Si nous avons eu autant de conflits et d’affrontements pour installer 342 maires (et ce n’est toujours pas fini !), qu’en sera- t-il des milliers de chefs de districts ou de quartiers ? Le pire est à craindre.
Allez-vous diriger une liste de votre parti aux législatives ?
Nous avons toujours participé aux élections depuis 2005, seuls ou en alliance. C’est normal que nous soyons présents dans la bataille électorale, si bien sûr les conditions minimales s’y prêtent.
Le débat sur le troisième mandat devient de plus en présent en Guinée. En 2010 on a vu une émulation des forces vives qui se sont dressées contre les velléités du capitaine Dadis Camara. Pensez-vous qu’un tel scenario soit possible avec Alpha Condé s’il s’obstine à rester après 2020 ?
Ce débat sur la révision constitutionnelle pour un troisième mandat est arrivé sur la place publique de façon calculée et rampante, par la petite porte. Ce pays a une histoire, celle des présidents à vie. Avec ce système qui perdure depuis 1958, nous sommes l’un des Etats les plus corrompus, les plus misérables du monde. Il n’est pas inutile à cet égard de se souvenir des exemples d’autres pays. En Côte d’Ivoire une révision constitutionnelle a été faite contre une seule personne : Alassane Dramane OUATTARA. S’en est suivi une guerre civile extrêmement meurtrière pendant des années et des plaies béantes non cicatrisées jusqu’aujourd’hui. Au Burkina Faso la tentative de révision constitutionnelle pour permettre un mandat à vie pour Blaise Compaoré, s’est soldée par une révolte populaire qui a entraîné des centaines de morts. Une constitution est faite pour un pays, une nation, pour l’intérêt général et non au profit d’un individu ou d’un groupe d’individus.
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