Ce mardi, l’Éthiopie hisse un monument de fierté nationale et de défi géopolitique. Le Grand Barrage de la Renaissance (GERD), plus grande structure hydroélectrique d’Afrique, sera inauguré en grande pompe, couronnant plus d’une décennie de travaux titanesques. Mais derrière les festivités se cache une réalité plus âpre : celle d’une région au bord de la crise hydrique, où le Nil bleu devient un enjeu de puissance.
Une fierté nationale, un cauchemar régional
Pour Addis-Abeba, le GERD est bien plus qu’un barrage. Lancé en 2011, cet ouvrage pharaonique – affichant une capacité de 5 150 mégawatts – incarne l’ambition d’une Éthiopie qui se rêve en lion économique africain. Il doit produire chaque année 15 760 GWh, de quoi électrifier des millions de foyers et d’usines, et porter le pays vers le rang des économies à revenu intermédiaire.
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Pourtant, cette « renaissance » éthiopienne se fait dans la controverse. En aval, l’Égypte et le Soudan observent, inquiets, les festivités. Le Caire, qui dépend à 97 % des eaux du Nil pour son agriculture et sa survie, crie à la menace existentielle. Khartoum redoute pour sa stabilité et ses propres barrages. Tous dénoncent un risque majeur pour leur sécurité hydrique.
Abiy Ahmed, entre invitation et fermeté
Face à ces craintes, le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, joue la carte de l’apaisement offensif. Il a convié les peuples et gouvernements du bassin du Nil à « se joindre à cette célébration », assurant que le barrage est une « opportunité commune ». Dans un message vidéo diffusé en août, il a insisté : « Le barrage de la Renaissance n’est pas une menace. » Et de marteler : « Le barrage d’Assouan n’a jamais perdu un seul litre d’eau à cause du GERD. »
Un discours rodé, qui mêle coopération et ferme rappel à la souveraineté nationale. Le chef du gouvernement vante « les infrastructures modernes et les systèmes automatisés du barrage », fruit d’un « investissement massif et de l’implication de tous ». Il en appelle à la « collaboration » et au « travail collectif », tout en rappelant la détermination de son peuple à « progresser sans nuire à ses voisins ».
Un bras de fer qui couve depuis des années
Derrière les mots, le contentieux reste entier. Les négociations trilatérales peinent à aboutir sur un accord contraignant de remplissage et d’exploitation du réservoir. L’Éthiopie affirme avancer sans malveillance, mais refuse toute entrave à son développement. L’Égypte, elle, brandit des traités coloniaux – aujourd’hui contestés – qui lui garantissent des droits historiques sur le fleuve.
Alors que la cérémonie se prépare, l’ombre d’un conflit larvé plane sur le Nil bleu. Le GERD est devenu le symbole d’une nouvelle donne géopolitique : celle où les pays en amont entendent bien reprendre la main sur des ressources longtemps contrôlées par d’autres.
Mardi, l’Éthiopie célébrera sa renaissance énergétique. Mais le vrai test commencera après les discours : celui de gérer l’or bleu sans embraser la région.
