« Il y a la séparation des pouvoirs dans ce pays. C’est la constitution. Monsieur le Président de la République respecte et le dit à chaque fois : l’Exécutif, le législatif, le judiciaire et la presse. On ne peut pas accepter qu’un député insulte la justice, jette l’anathème sur la justice. Je n’accepterai jamais ça. Et cette séparation des pouvoirs, il faut que cela soit une réalité dans notre pays, sinon on n’ira pas loin »
Maître Cheick Sako est ministre de la Justice et garde des sceaux. Au baptême de la 9è promotion de Droit qui porte désormais son nom, le ministre a fait un retour exhaustif au palais du peuple sur son parcours mais aussi a parlé de la Justice qu’il dirige non sans critiques. Il a ensuite envoyé des piques au chef de la majorité présidentielle Amadou Damaro Camara, accusé récemment d’outrage, d’injures et diffamation à l’encontre des magistrats. Intégralité de son speech…
« J’ai été nommé ministre en janvier 2014. En décembre déjà, la troisième promotion des auditeurs de justice, c’est-à-dire les jeunes magistrats de Guinée, m’avait fait l’honneur pour me choisir comme parrain en 2016, alors que j’étais en fonction en Guinée. Une promotion de 144 avocats du barreau de Montpellier, de l’école de formation du barreau de Montpellier puisque ça regroupe tout le sud-est jusqu’à Marseille m’a choisi comme parrain. J’avais été en décembre 2016 avec une équipe du Ministère pour honorer, au-delà de ma personne, notre pays. Et là, on est 2016. Dans mon propre pays, les étudiants, en l’occurrence la 9ème promotion de la Faculté de Droit de Sonfonia, m’ont choisi comme parrain de leur promotion. Je suis donc particulièrement ravi aujourd’hui du choix. Et bien entendu je vais, à travers ce discours, vous dire un peu ce que je fais en tant que juriste et vous donner quelques conseils. Ce n’est pas seulement le ministre de la Justice de la Guinée qui vous parle ce matin, c’est l’avocat ayant eu des responsabilités ordinales dans un barreau de 1200 avocats à Montpellier qui va vous parler ce matin. Mais c’est celui qui est surtout toujours Maître de conférences à la Faculté de Droit de Montpellier. Et parce que vous savez quand on n’est enseignant à l’Université, on peut se mettre en disponibilité, ça peut durer le temps qu’il le faut. Donc j’ai toujours cette casquette. Et pour la petite histoire, ça a été dit par l’orateur tout à l’heure que de 2000 à 2001, j’ai fait des allers et retours entre Montpellier et Conakry, où je donnais des cours aux étudiants de la première année jusqu’en quatrième année, dont beaucoup sont dans la vie active actuellement. Il y a beaucoup de jeunes magistrats, il y a des fonctionnaires à la Banque centrale, il y a quelques-uns qui ont même des responsabilités politiques.
Je bâtirai mon propos autour de trois mots-clés : d’abord gratitude, ensuite congratulation et enfin conseil.
Gratitude d’abord. A cet égard, permettez-moi de partager avec vous une sagesse africaine qui dit ceci : lorsqu’on demande à celui qui est saisi d’une joie intense d’attiser le feu, sa salive risque fort de l’éteindre. Oui, l’émotion qui m’envahit aujourd’hui, est si forte que si je ne me retiens pas suffisamment, je risque fort de pâlir l’éclat de cérémonie.
Alors mon propos se veut simple pour éviter la tentation qui guette très souvent les hommes en robe noir et plus généralement les juristes de participer à un concours d’art oratoire lorsqu’ils sont appelés de prendre la parole en public.
Pour faire simple, ma gratitude va d’abord à l’endroit des étudiants en Droit, qui ont bien voulu donner mon à leur promotion.
Cher jeune juriste, je suis en effet très sensible à l’insigne honneur que vous me faites en me désignant parrain de la nouvelle promotion ici présente. Mes sincères remerciements vont également aux autorités de l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia et de sa faculté juridique et politique, ainsi qu’aux différents professeurs qui n’ont ménagé aucun effort pour obtenir les produits de qualité que vous êtes. N’oubliez jamais vos enseignants, quelle que soit la carrière que vous ferez dans la vie active. La particularité d’un enseignant, c’est qu’il est inoubliable. Quand on est enseignant dans sa chair, on peut faire n’importe quelle activité dans la vie professionnelle, on reste toujours enseignant et c’est très important. Et ce lien de causalité entre étudiant et enseignant, c’est très important que vous le perceviez. J’ai eu toute ma scolarité à Montpellier, de la première année de Droit jusqu’au doctorat, en passant par le diplôme d’avocat. J’ai des enseignants avec qui je suis encore en contact encore malgré mon âge avancé, malgré mon expérience professionnelle. Pourquoi ? Parce qu’à un moment donné, ils m’ont transmis un certain nombre de savoirs que j’ai ensuite adaptés à ma personnalité et à mes origines.
Deuxième mot, congratulation ensuite. A cet égard, m’adressant à vous jeunes juristes, je dis avec le cœur que la présente cérémonie est l’aboutissement de plusieurs années de privation, de sacrifice et de dur labeur de votre part avec évidemment le soutien inconditionnel de vos proches, de vos parents. Ces instants d’émotion méritent de chaleureuses félicitations pour vous, mais également pour toutes les personnes qui vous sont chères, mais surtout félicitations pour tous les gens qui vous ont accompagnés dans ce chemin qui mène à ce diplôme que vous avez reçu cette semaine. Voyez-vous, un diplôme ne tombe pas du ciel. J’avais un cours il y a une quinzaine d’années en première de Droit à l’Université de Montpellier, c’est un amphithéâtre de 300 ou 400 étudiants. Je commençais toujours mes cours pour dire que ce n’est pas la peine d’enregistrer avec les cassettes et même de prendre des notes. Ce qui est important dans le discours d’un professeur, c’est les quelques fragments qui vous restent en mémoire parce que ça, vous le garderez tout le temps dans votre esprit. Vous avez donc eu un parcours certes pas très long, mais trois ans d’études, ce n’est pas petit dans la vie des jeunes gens que vous êtes. Ce parcours vous a permis de savoir, comme l’indique un écrivain français Pierre Corneille, dans son ouvrage le Sid « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». Ça veut dire aussi qu’on fait l’exécutif sans souffrir. Quand certains de vos amis, de même âge, pendant que vous êtes en première année ou en deuxième année, vont dans des boîtes de nuit chaque fois pour s’amuser, vous êtes enfermés chez vos parents en train de travailler, de bachoter, parce que, voyez-vous quand on fait les études de Droit, on bachote. On prend un code, on le lit plusieurs reprises jusqu’à ce que certains fragments restent dans votre tête. Après, vous éloignez le code. Un profane ou un non juriste qui vous posera des questions sur quelque chose dans ce code, toute suite les connaissances vous reviennent. C’est ce qu’on appelle bachoter. Un juriste doit bachoter, un juriste n’invente rien parce que tout est déjà inventé. Quand on vous dit qu’il y a des génies en Guinée, en Afrique ou dans le monde, c’est faux : les génies sont morts depuis très longtemps. C’est les gens qui apprennent le savoir par le labeur, par le travail, par le sérieux. Autrement dit comme l’enseigne la sagesse africaine, la trop grande facilité ennuie, tout comme la trop grande difficulté a tendance à décourager. Alors il faut une ligne médiane. Si vous tombez dans la plus grande facilité, vous vous noyez, quel que soit le métier. Même dans le métier des armes puisque en tant qu’avocat et enseignant, je donnais des cours également dans des écoles militaires dans le sud de la France notamment, ça concerne toutes les professions.
Si vous avez des difficultés insurmontables, dans un corps de métier, mais changez tant qu’il est temps. Ça vous permet de rebondir justement. De même le bonheur s’estompe s’il absorbe trop vite cette épaisseur de résistance qui s’interpose entre nos vœux et la réalité.
Et enfin le troisième mot que je vais vous dire ce sont les conseils. Ce moment de joie est intense, mais il ne s’agit qu’une étape de la vie. A cette étape, vous avez surtout besoin de conseils. Ma position de parrain, vous l’aurez compris, doublée de mes années d’expérience en tant qu’enseignant, parce que j’ai commencé par enseigner à l’université avant d’être enseignant. Quand on est maître de conférences, on est docteur d’Etat en droit mais pas professeur agrégé. Au lieu d’aller dans l’agrégation, je suis allé vers le barreau. C’était deux expériences tout à fait différentes mais que j’ai conduites pareillement. Mes conseils, je vais vous les donner. Ce sont des conseils à la fois théoriques, mais c’est également des conseils pratiques, parce que parmi vous, après la cérémonie, les semaines qui vont suivre, vous allez réfléchir sur ce que vous voudrez faire dans l’avenir. Certains voudraient continuer, d’autres voudraient rentrer directement dans la vie active. Ceux qui veulent être magistrats, il y a un concours d’entrée au centre de formation judiciaire qui a été rénové et agrémenté. Ceux qui veulent être greffiers également. Mais ceux veulent également se diriger vers les métiers de la Banque, parce que les financiers dans les banques, il n’y a pas que les économistes ou les gestionnaires, il faut aussi des juristes calés. Et puis il y a ceux qui voudraient aller dans les professions libérales : avocat, notaire, huissier de justice, commissaire-priseur. Et là aussi, comme notre pays avance dans l’émergence, à la fois en matière de justice et en Etat de droit, il est important que tous les postes soient renouvelés dans les mois et les années à avenir par les jeunes gens que vous êtes. Quand vous rentrez dans ces corps, il faut bousculer les anciens. Il faut les écouter, il faut apprendre auprès d’eux. Comme vous le savez, tout ne s’apprend pas dans les livres. Ça, c’est un de mes vieux professeurs qui me l’avait dit, quand on s’enfermait pour bûcher dans les ouvrages. Certes, les ouvrages sont bons, mais c’est aussi bon ce que l’ancien va vous dire sur sa pratique professionnelle. Ecoutez religieusement tout ce qu’il va vous dire. Et ensuite automatiquement vous faites consciemment ou inconsciemment les choix sur les conseils que vous recevrez. Donc, je me garderai toutefois de laisser croire à vous jeunes gens que j’ai les clés de la réussite. Moi, je suis un Guinéen né en Guinée et je suis parti très tôt de ce pays. Mon père était un officier de la gendarmerie. Donc je viens du peuple. Vous savez comment l’armée a souffert ici sous la première République. Mais vous avez des officiers de qualité dans ce pays. Notamment dans le corps de la Gendarmerie. Je suis bien placé pour le savoir puisque par ma fonction je coiffe un peu la justice militaire. C’est pourquoi il est important dans notre pays que les différents corps de métier soient respectés. Contrairement à l’anathème qui est souvent jeté souvent sur certains corps dans ce pays. Il faut que chacun se remette en cause, il faut que chacun travaille soucieusement pour que ce pays puisse avancer. Chers jeunes juristes, ne vous trompez guère, le métier de juriste force l’admiration par la noblesse qui le caractérise et son lien avec la vie de société. La vie en société est en effet souvent génératrice de conflits d’intérêt entre les acteurs économiques et sociaux. Chacun pense souvent être dans son droit, et quelquefois le pense si fort, que le conflit peut dégénérer en une forme de violence dont la généralisation peut rendre impossible la vie en commun. Et c’est ce qu’on voit actuellement en Guinée.
Quand les gens se font la guerre, se font la bagarre à Banankoro, à Siguiri et Boké il y a encore deux jours. Les gens qui ne respectent pas la loi dans ce pays. Les gens qui donnent les leçons aux autres. Souvent les gens bien placés ou les gens riches, voire même des députés. Je n’accepterai jamais que les gens jettent l’anathème sur le corps de métier dans ce pays tant que je serai à ce poste, quelle que soit leur position sociale.
Il y a la séparation des pouvoirs dans ce pays. C’est la constitution. Monsieur le Président de la République respecte et le dit à chaque fois : l’Exécutif, le législatif, le judiciaire et la presse.
On ne peut pas accepter qu’un député insulte la justice, jette l’anathème sur la justice. Je n’accepterai jamais ça. Et cette séparation des pouvoirs, il faut que cela soit une réalité dans notre pays, sinon on n’ira pas loin. Je le dis solennellement ici à l’assemblée nationale. Alors, quand on entend le mot Etude de droit, les juristes, on pense tout de suite à la justice. Bien entendu dans tous les pays du monde, c’est ce pouvoir exceptionnel qui est conféré à la justice pour expliquer aux citoyens ce que c’est la loi et ce que c’est le non-respect de la loi.
La modeste tournée que j’ai faite dans la partie forestière de notre pays, j’ai fait toutes les préfectures. Modestement, au nom de Monsieur le Président de la République et Monsieur le Premier ministre, j’ai expliqué à chaque fois ce que c’est une loi ; l’importance de respecter les lois dans notre pays quel que soit le statut de la personne ; l’importance de respecter les décisions de justice ; l’importance de respecter les magistrats. Alors il y a des voies de recours, il y a des cas de contestation. On peut dénoncer un magistrat si l’on a des éléments contre ce magistrat devant le conseil supérieur. Ça aussi, on a instauré dans notre pays.
Vous voyez qu’on vient de loin. Et tout ça c’est dans l’idée d’instituer un véritable Etat de droit chez nous, pas pour autre chose.
Alors, au niveau de la justice, bien entendu, grâce à Monsieur le Président de la République, beaucoup de réformes ont été faites par ma modeste personne et par l’équipe qui m’entoure. Et puisque évidemment s’il n’y a pas volonté politique, on ne peut rien faire. Il faut aussi dire les choses par leur nom, c’est qu’on m’a donné carte blanche quand je suis venu, puisqu’on a été me chercher à Montpellier et on m’a demandé de faire des réformes. A partir de là, je ne sais pas qui peut m’empêcher de faire des réformes dans notre pays. Et la première réforme qui a été faite était de donner un statut particulier aux magistrats. Dans tous les pays voisins d’Afrique, je ne parle des pays du Nord, la conséquence de ce statut était de donner un salaire conséquent aux magistrats. Et cela n’a pas été facile. Il fallait convaincre les syndicats, qui ont fini par comprendre et ça a été fait. Ensuite, on a instauré le conseil supérieur de la Magistrature pour dire que les magistrats ne sont pas au-dessus de la loi.