Les chiffres recueillis dans une enquête menée par notre rédaction sont inquiétants. Tous les niveaux sont frappés par le fléau. Mais c’est en province où le tableau est encore plus sombre.
Dans cette première partie, nous avons concentré notre enquête dans les régions de la Moyenne-Guinée, haute-Guinée et une partie de la forêt. Les statistiques recueillies auprès des autorités de l’éducation et les témoignages de certains citoyens traduisent un décor alarmant surtout en zone rurale où plusieurs écoles sont menacées de fermeture faute d’effectif raisonnable par classe.
Les causes sont diverses et variées. Le commerce, l’exode rural, l’immigration clandestine, les mariages précoces chez les jeunes filles, le manque de suivi de la part des parents d’élèves, le manque d’enseignants et d’infrastructures, l’éloignement des écoles. Ce sont autant de facteurs qui favorisent l’abandon scolaire. Le constat révèle aussi des effectifs pléthoriques dans les grandes villes des régions administratives tandis que dans les zones reculées, il n’y a presque pas d’apprenants.
En Haute-Guinée, la ruée vers l’or constitue le facteur majeur de l’abandon scolaire. Nous nous sommes intéressés aux préfectures de Siguiri et Kérouané pour la région administrative de Kankan et Dinguiraye qui relève de celle de Faranah.
« L’éducation à Siguiri est confrontée au problème d’abandon scolaire qui est en général occasionnée par la ruée vers l’or. Avec les mines d’or, un nombre important d’élèves abandonne les classes pour aller à la recherche de l’or. C’est une réalité. Au primaire le taux de scolarisation actuel à Siguiri est à 66,2 % pour 51, 50% pour les filles. Le taux d’inscription au CP1 s’élève à 97% dont 81,8% pour les filles ; Mais le taux d’achèvement au primaire se situe autour de 33 ,69%, 21,61% chez les filles. C’est-à-dire sur les 97% inscrits en première année, c’est 33 % qui passent en 7èmeAnnée, beaucoup parmi eux abandonnent. D’autres sont touchés par les échecs, bien que ce n’est pas tous ceux qui échouent qui abandonnent. Maintenant au niveau du collège le taux de redoublement est de 14,9% ; les filles 12 ; 8%, le taux d’achèvement est de 6,3% contre 9,3% pour les filles. Au lycée le taux de redoublement se situe à 15,8% contre 14,8%, le taux d’achèvement c’est 17, 9% contre 6,5% chez les filles. Si nous parlons de taux d’abandon au niveau du secondaire c’est 36,49% par rapport au nombre d’inscrit, ces pourcentages ont été rehaussés grâce aux efforts fournis sinon entre 2012-2014, c’était vraiment alarmant, nous passons des sensibilisations pour éviter l’abandon généralisé des enfants .C’est les détails que nous avons pour la préfecture de Siguiri recueillis pour la session 2017-2018 », explique un responsable de l’éducation de la préfecture de Siguiri.
La préfecture de Kérouané en Haute-Guinée est aussi fortement touchée par l’abandon scolaire. Là aussi la principale cause est la ruée vers l’or et le diamant. Mais les sensibilisations à l’endroit de la communauté font baisser légèrement les taux d’abandon qui s’élevait 13,8% entre 2014-2015, 12,9% 2015-2016 est de 10,10% entre 2017-2018. Dans cette zone le taux de scolarisation dépasse rarement la barre de 50%. Entre 2014-2015, le taux brut était 60,8% alors que le taux net est de 50,4%. Entre 2015-2016, le taux net qui était à 61,8% est retombé à 48,70%.
Selon le directeur préfectoral de l’éducation de Kérouané, l’utilisation des enfants par leurs parents dans les travaux miniers, les travaux champêtres aussi, la surveillance des bétails, l’insuffisance du personnel enseignant, sont les principaux facteurs de l’abandon.
« Les élèves des classes 1ère et la 4èmeannée peuvent par exemple voir l’unique enseignant muté sans qu’il ne soit remplacé. Cette situation favorise l’abandon scolaire. A cela s’ajoute le désir d’aller à l’aventure, la négligence des parents sur la scolarité de leurs enfants, il y a également l’éloignement des écoles et les habitations des élèves, la pauvreté des parents, chez les filles les facteurs d’abandon sont les mariages précoces, », a déclaré Mamady Doudou Camara, DPE de Kérouané.
A Dinguiraye, zone aurifère par excellence, la situation est alarmante. Des vagues d’enfants en âge d’aller à l’école descendent dans les mines, d’autres y sont d’ailleurs nés, leurs parents sont miniers artisanaux. Elhadj Mamadou Diallo, marchand d’Or est témoin des faits et déplore cette situation qui n’attire l’attention d’aucune autorité.
« Dans la préfecture de Dinguiraye, des enfants à l’âge d’aller à l’école sont visibles partout dans les zones d’exploitation artisanale de l’Or. Je suis fréquent à Bannora, Kiniero, Teliré , Diatiferè au bord de la rivière de Kifala , à Maleya, à Fello Moundjourou etc. La catégorie d’enfants qui arrive dans les mines les moins âgés ont 12 ans environs. On voit tous les âges presque 14, 15, 17 et 20 ans etc. ça ce sont des enfants qui abandonnent l’école et viennent de différentes localités pour travailler dans les mines. Par contre il y a une catégorie d’enfants de moins de 10 ans même 8 ans et plus qui sont nés dans les mines eux n’ont jamais connu l’école. Leurs parents sont venus travailler et ils sont nés ici, vous voyez ces enfants par groupes dans les miniers. Il y a des personnes qui sont arrivées dans les mines jeunes et finissent par fonder des familles ici, la plupart c’est des gens qui n’envoient jamais leurs enfants à l’école. C’est regrettable que tous ces enfants soient privés de leur droit à l’éducation. Il y a même des étudiants qui profitent des vacances pour travailler, d’autres y restent sans même aller finir leurs études, des diplômés aussi faute d’emplois se lancent dans les mines. Tout ça personne ne parle à plus forte raison prendre des mesures pour obliger les parents à scolariser leurs enfants. Nous voyons des personnes ici qui se démarquent peu de l’animal puisque même un numéro ils ne peuvent pas écrire ou composer au téléphone faute d’instruction»a expliqué ce marchand d’Or.
Maxime Honomou, responsable du bureau de stratégie de développement de l’éducation à l’inspection régionale de l’éducation de N’Nzérékoré alerte sur les causes de l’abandon scolaire: « Les causes de l’abandon scolaire, il faut notamment parler du manque d’encadrement surtout parental qui pousse certains élèves à abandonner l’école pour faire le taxi-moto, quant aux filles c’est connu c’est le mariage précoce, il y a également les grossesses non désirées, les parents sont souvent complices de cette déscolarisation. Après l’école les enfants sont avec leurs parents, ils passent minimum 4h maximum 6 heures à l’école, le reste du temps c’est en famille. Nous profitons de certaines sorties pour faire comprendre à la communauté la portée de l’école sur les enfants », explique-t-il.
Dans le foutah, nous avons tourné notre regard sur la région administrative de Labé qui compte 5 préfectures (Labé, Lelouma, Koubia, Mali et Tougué). Là également, la situation est alarmante, le taux d’abandon est élevé. En zone rurale, plusieurs écoles sont menacées de fermeture faute d’effectifs raisonnable dans certaines classes. Le taux d’inscription brut à l’élémentaire est de 86,80% alors que l’idéal c’est d’être à 100%, chez les filles 87,20 %. Dans certaines préfectures comme Lelouma, les garçons se comptent au bout des doigts dans certaines classes où la tendance féminine domine. Le taux net au CP1 est de 39%, 38 % chez les filles. Cette situation s’explique par le fait que plusieurs enfants en âge d’aller à l’école sont privés par manque d’infrastructures ou d’enseignants dans leur zone d’habitation. Ce taux net très faible est un défi énorme à relever. Le taux de redoublement est estimé 9,01% et 8,76 pour les filles. S’agissant du taux brut d’achèvement du cycle élémentaire, il est de 40,80% dont 41,20% chez les filles. C’est-à-dire que sur l’ensemble des inscrits à l’élémentaire, seulement 10,10 % et 9,90% pour les filles arrivent au collège.