Le principal opposant guinéen, Cellou Dalein Diallo, affirme qu’il se représentera à l’élection présidentielle en 2020.
Cellou Dalein Diallo, 67 ans dirige la principale force d’opposition en Guinée, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), très implantée au sein de la forte communauté peule du pays. Ancien premier ministre au temps du régime autoritaire de Lansana Conté (1984-2008), il a été battu à la présidentielle de 2010, la première élection démocratique organisée en Guinée depuis son indépendance en 1958. Puis à nouveau en 2015 par le chef de l’Etat sortant. Cellou Dalein Diallo nous a expliqué qu’il considère ces deux scrutins entachés de fraudes, tout comme les dernières élections locales de février 2018.
Le président Alpha Condé vient de proroger le mandat des députés qui s’achevait le 13 janvier. Acceptez-vous cette décision et que comptez-vous faire ?
Ces élections deviennent de plus en plus hypothétiques. Par ailleurs, nous nous demandons si nous allons siéger dans cette assemblée reconduite uniquement parce que le président n’a pas voulu organiser le scrutin. Nous avions passé un accord politique en 2012, prévoyant la mise en place d’une nouvelle CENI [Commission électorale nationale indépendante] et l’assainissement du fichier électoral, afin d’aller sereinement vers des élections locales en 2017 et des législatives l’année suivante. Le président n’a pas tenu ses engagements. Finalement, les élections locales n’ont eu lieu que l’année dernière et seulement après que nous ayons organisé des manifestations monstres. La nouvelle CENI vient finalement de prêter serment et le fichier électoral a été audité. Il faut maintenant mettre en œuvre les recommandations.
Faites-vous encore confiance au système, alors que vous dénoncez des fraudes à chaque scrutin ? Envisagez-vous u
Nous réfléchissons. Il faut tirer les leçons des élections locales, alors que tous les conseils municipaux ne sont pas encore installés, onze mois après le vote ! Ils essaient de corrompre des élus pour faire élire leurs maires, notamment dans de grandes zones minières, des foyers de contestation, dont ils ne veulent pas que je prenne le contrôle.
Pourquoi les élections municipales étaient-elles si importantes ?
Premièrement pour le respect de la loi. Les mandats des maires, élus en 2005, avaient échu en 2010. Le président les avait alors remplacés [en nommant à la tête des municipalités] des militants zélés de son parti, le RPG [Rassemblement du peuple de Guinée]. Ils sont devenus des auxiliaires précieux pour la fraude électorale. « Le coup KO » de 2015 [slogan d’Alpha Condé pour qualifier sa réélection dès le premier tour] a réussi grâce à ce système et parce que la justice est inféodée au pouvoir.
On l’a encore vu à l’occasion des élections locales [du 4 février 2018]. J’ai notamment gagné à Conakry et en Basse-Guinée, deux régions électorales très denses. Ça a été une surprise pour le pouvoir. Non seulement il perdait ses auxiliaires, mais sa théorie selon laquelle je ne suis que le chef d’une communauté, peule en l’occurrence, était battue en brèche. C’est pour ça qu’il a demandé à changer les résultats.
N’avez-vous pas déposé de recours ?
Nous avions tous les procès-verbaux de dépouillement. C’était facile de voir qu’il y avait eu des vols. Nous avons décidé de contester les résultats pour six communes urbaines [les cinq communes de Conakry plus Kindia] et six communes rurales [sur 342]. C’était pourtant limpide, mais les juges n’ont pas changé une virgule aux résultats « officiels ». Une fois validés par les tribunaux d’instance, il n’y a pas d’appel possible.Nous avons manifesté pendant des mois. Cela a été réprimé dans le sang, comme d’habitude. Alors le président m’a dit que nos partenaires [UE, ONU, Etats-Unis, France] ne trouveraient pas crédible que les politiques changent les décisions de justice. Il m’a donc proposé un arrangement : organiser des désistements entre conseillers municipaux de l’RPG et l’UFDG pour le choix des maires, mais sans modifier les résultats publiés. Nous sommes tombés d’accord.
A Conakry, mon parti [l’UFDG] a obtenu 76 conseillers, le RPG 49 et le parti de Sydia Touré, 24. Dans les résultats publiés, je n’en ai plus que 69, Alpha Condé 57 et Sydia Touré 23. Si je renonce aux sièges volés, je perds mon avantage pour la conquête de la mairie. Le premier ministre a refusé en arguant que je ne peux pas tout prendre ; qu’il fallait couper la poire en deux… J’ai aussi accepté cela. C’était un progrès. Le premier ministre [Ibrahima Kassory Fofana] venait d’être nommé [le 24 mai 2018] et moi je cherchais à me retirer de la rue. Mais le RPG l’a refusé. Nouvel accord en août. Nous avions déjà 20 morts de notre côté, des blessés, des personnes emprisonnées… Nous étions soulagés.
Est-ce que cela ne vous affaiblit pas au sein même de votre parti ?
On dit que je me laisse rouler dans la farine. Moi, je fais de la politique dans le cadre du pacte républicain. Il y a eu des débats. Certains voulaient que l’on ne participe plus à la mise en place des exécutifs locaux. La question a été tranchée : on participe. L’objectif, c’est 2020 [date de la prochaine présidentielle]. Avant le vote, toutes les 38 communes urbaines du pays étaient gérées par le RPG. Après les élections, sans les fraudes, nous aurions dû en avoir 20, le RPG 13. Finalement, nous en dirigerons 16, autant que le RPG. Est-ce qu’il faut les prendre et continuer la lutte ou est-ce qu’il faut tout lui laisser ? On prend !
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