International › AFP

Pour les Angolaises, la double peine du changement climatique

C’Ă©tait la corvĂ©e qu’elle redoutait le plus. Chaque fois que sa mère lui ordonnait de chercher de l’eau pour arroser les rĂ©coltes familiales, lĂ -haut dans les montagnes du sud de l’Angola, Tehandjila Quessale se raidissait imperceptiblement.

Quitter l’Ă©cole. Trois heures de marche. Se glisser dans la file d’attente au point d’eau. Et puis attendre pour remplir son seau, souvent jusqu’Ă  la nuit. Une Ă©preuve.

Et pour Tehandjila, 16 ans, le plus dur restait encore Ă  faire. Regagner son hameau des alentours de Lubango, la capitale de la province de Huila. « J’avais peur des attaques de garçons », se souvient l’adolescente. Au moins deux filles qu’elle connaĂ®t ont Ă©tĂ© violĂ©es au retour du puits.

Comme si la sĂ©cheresse qui fissure la terre et la faim qui serre les estomacs ne suffisaient pas, les femmes de la province de Huila vivent aussi dans la peur de l’agression.

Ces dernières semaines, les pluies torrentielles qui ont lessivĂ© la campagne des alentours lui ont apportĂ© un peu de rĂ©pit. Tehandjila peut dĂ©sormais trouver de l’eau Ă  une source toute proche de la petite maison de pierres qu’elle partage avec sa mère et ses six frères et sĹ“urs.

Mais la pluie a aussi détruit la récolte de la famille et fait ressurgir le spectre de la famine.

Elle menace aujourd’hui 45 millions de personnes dans toute l’Afrique australe, selon les dernières Ă©valuations de l’ONU.

Dans la province de Huila, les égarements de la météo ont poussé la plupart des hommes hors de leurs villages pour aller chercher du travail à Lubango. Et laissé aux femmes la lourde responsabilité de nourrir les enfants.

« Le changement climatique a un impact considérable sur la vie des femmes », résume Florbela Fernandes, du Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP).

– Hommes absents –

L’ONU estime qu’elles constituent jusqu’Ă  80% des bataillons des dĂ©placĂ©s par le rĂ©chauffement de la planète.

« A chaque crise, on constate que les groupes déjà les plus vulnérables sont ceux qui souffrent le plus », poursuit la représentante du FNUAP en Angola, « ces situations les exposent encore plus à la violence et aux abus ».

Les ONG opĂ©rant dans la province de Huila ont recensĂ© plusieurs cas de femmes ou jeunes filles contraintes Ă  des relations sexuelles en Ă©change d’argent ou de nourriture.

Les pressions de l’environnement ne sont pas seules en cause. « C’est aussi une question de culture », estime Florbela Fernandes, « dans la plupart des pays africains, ce sont les filles et les femmes qui assument l’essentiel du travail Ă  la maison ».

Le père de Tehandjila a trouvĂ© un emploi de gardien Ă  Lubango, mais il n’en fait guère profiter sa famille.

« Quand il revient Ă  la maison, il est confrontĂ© Ă  la faim. Alors il fait ce qu’il veut et moi, je me dĂ©brouille », lâche son Ă©pouse Mousaka Fernanda, 47 ans, en dĂ©sherbant, les pieds dans la boue, son petit lopin de maĂŻs.

« Les enfants ne demandent rien Ă  leur père », ajoute-t-elle, « c’est Ă  leur mère qu’ils rĂ©clament de quoi manger ».

Et ce n’est pas une mince affaire. Depuis des annĂ©es que la sĂ©cheresse frappe la rĂ©gion, Mousaka Fernanda s’en sort en troquant son « macau », une liqueur locale qu’elle fabrique avec du sorgho, contre un peu de nourriture. Un gros kilo de maĂŻs pour deux coupes de « macau ».

De quoi calmer la faim de la famille quelques jours seulement.

– Bouches Ă  nourrir –

Alors quand sa fille aĂ®nĂ©e, Domingas, a appris qu’elle Ă©tait enceinte, sa mère l’a pressĂ©e d’Ă©pouser le père de son enfant pour aller vivre avec lui.

« Ma mère ne voulait pas d’une bouche en plus Ă  nourrir », explique la jeune femme de 19 ans, « moi j’Ă©tais contre ».

Le compagnon de Domingas Quessala a depuis quittĂ© le foyer pour prendre un emploi dans la fabrique de jus de fruits de la ville voisine de Humpata. DĂ©sormais seule, la jeune maman confie elle aussi subir le harcèlement et les « agressions » des garçons pendant ses corvĂ©es d’eau.

« Les filles sont les premières victimes des sĂ©parations familiales », constate Anaina Lourenço, de l’ONG World Vision International. « Elles finissent par ĂŞtre obligĂ©es d’aider leurs mères et, très souvent, arrĂŞtent leurs Ă©tudes ».

Dans un petit village de l’autre cĂ´tĂ© de la vallĂ©e, Cristina Canaino, 14 ans, a ainsi dĂ©sertĂ© les bancs de son Ă©cole en 2018, lorsque son père a quittĂ© sa famille de cinq enfants.

« Il est parti Ă  la ville chercher du travail Ă  cause de la sĂ©cheresse », raconte son Ă©pouse Ceu Jacinta, 32 ans, « on ne l’a pas revu depuis ». Elle n’a eu d’autre choix que de faire travailler sa fille Cristina dans un champ pour une poignĂ©e de kwanzas.

Ici aussi, les pluies ont rĂ©cemment dĂ©truit une partie des rĂ©coltes de la famille et le ciel ne semble pas vouloir s’Ă©claircir. « S’il continue Ă  pleuvoir, on ne pourra mĂŞme pas ramasser un peu de maĂŻs », redoute Ceu Jacinta.

Comble d’infortune, l’humiditĂ© a fait s’Ă©crouler le toit de chaume de leur hutte. « Si mon mari Ă©tait restĂ© là », se lamente la cheffe de famille, « je ne pense pas que tout ça serait arrivé ».

Retour en haut