Fariba Adelkhah et Roland Marchal, les universitaires français dĂ©tenus en Iran, dont le procès s’ouvrira mardi, sont tous deux des chercheurs de terrain « de haute volĂ©e », selon plusieurs de leurs collègues, qui mettent en avant la mĂŞme intransigeance critique.
+ Fariba Adelkhah
Il faut « sauver les chercheurs, sauver la recherche, pour sauver l’histoire »: ces mots, Fariba Adelkhah les a Ă©crits de sa prison d’Evine, Ă TĂ©hĂ©ran. ArrĂŞtĂ©e dĂ©but juin par les Gardiens de la RĂ©volution, l’armĂ©e idĂ©ologique du rĂ©gime, avec son compagnon Roland Marchal, la chercheuse franco-iranienne est poursuivie pour « propagande contre le système » politique de la RĂ©publique islamique d’Iran et « collusion en vue d’attenter Ă la sĂ»retĂ© nationale ».
Dimanche dernier, elle a Ă©tĂ© admise Ă l’hĂ´pital de la prison d’Evine suite Ă une grave dĂ©tĂ©rioration de son Ă©tat de santĂ©, selon son avocat, qui y voit le rĂ©sultat de la grève de la faim qu’elle a menĂ©e de fin dĂ©cembre Ă mi-fĂ©vrier.
Cette spĂ©cialiste de l’anthropologie sociale et de l’anthropologie politique de l’Iran post-rĂ©volutionnaire a rejoint le Ceri (le Centre de recherches internationales, une unitĂ© mixte de recherche commune Ă Sciences Po et au CNRS) en 1993.
« Toute sa dĂ©marche part du terrain », explique BĂ©atrice Hibou, Ă©galement chercheuse au Ceri. « ExtrĂŞmement reconnue dans le milieu universitaire », elle est l’une des rares Ă porter un regard « critique » et non pas « politique » sur la sociĂ©tĂ© iranienne, souligne cette proche.
NĂ©e en Iran en 1959, dans une famille de la petite classe moyenne de la province du Khorassan (rĂ©gion situĂ©e Ă la frontière de l’Afghanistan), Fariba Adelkhah n’a jamais cessĂ© de retourner dans ce pays, dont sont issus la plupart de ses travaux de recherche.
En 1977, elle arrive en France, Ă l’universitĂ© de Strasbourg, pour y commencer des Ă©tudes. C’est lĂ qu’elle rencontre Roland Marchal.
Marquée par la lecture de Simone de Beauvoir, ses travaux initiaux portent sur les femmes et la Révolution islamique.
Cette femme menue aux cheveux noirs, « courageuse » et « combative », selon plusieurs collègues, qui aime traduire des poèmes chrĂ©tiens du Moyen-Ă‚ge en persan, avait rĂ©cemment Ă©tendu le champ de ses travaux Ă l’Afghanistan et l’Irak.
Elle s’inquiète de l’isolement auquel est soumis son compagnon, poursuivi pour « collusion en vue d’attenter Ă la sĂ»retĂ© nationale », et retenu dans l’aile des Gardiens de la rĂ©volution. Leur avocat tentait rĂ©cemment de lĂ©galiser un mariage qui autoriserait un droit de visite.
+ Roland Marchal
« Bourreau de travail, constamment sur le terrain », c’est un « grand chercheur, reconnu internationalement », dit de lui Sandrine Perrot, qui travaille avec lui au Ceri.
Africaniste spĂ©cialiste de la Corne de l’Afrique, il a consacrĂ© l’essentiel de son Ĺ“uvre Ă l’analyse des guerres civiles en Afrique subsaharienne, notamment dans leur rapport Ă la formation des États.
« Son pays de cœur est la Somalie, mais il connaît aussi très bien le Tchad, la République centrafricaine, le Mali et le Soudan », souligne Mme Perrot. « Ses analyses des guerres, des violences, de la sociologie des groupes armés, ont marqué des tournants dans la littérature », avance-t-elle.
Connu pour avoir des prises de position très franches, notamment sur la politique française au Tchad, qui lui ont valu la rĂ©putation d’ĂŞtre « un chercheur Ă la dent dure », ses critiques Ă©taient « toujours Ă©tayĂ©es par le terrain », poursuit la chercheuse.
Originaire de Lorraine, ce mathématicien de formation, très engagé à gauche, « est tombé dans la marmite des sciences sociales et a rejoint le Ceri en 1997 », indique Jean-François Bayard, ancien directeur du centre de recherches.
« Chercheur de haute volĂ©e, bourru, très exigeant, pas forcĂ©ment aimĂ© de tous », il fait montre, comme sa compagne Fariba Adelkhah, d’une totale « intĂ©gritĂ© professionnelle » et d’une « indĂ©pendance absolue », poursuit ce proche.
DĂ©crit aussi comme « râleur », « sarcastique », « très gĂ©nĂ©reux, notamment avec les jeunes chercheurs », « il s’est toujours Ă©normĂ©ment souciĂ© des sociĂ©tĂ©s qu’il Ă©tudiait, comprenant souvent avant tout le monde ce qui se jouait sur le terrain », souligne Marielle Debos, chercheuse Ă l’universitĂ© de Nanterre, qui a travaillĂ© avec lui.
Cet homme trapu aux cheveux gris de 64 ans qui a, aux dires de ses proches, beaucoup maigri en prison et serait très affecté psychologiquement par la longueur de sa détention, est aussi un grand amateur de livres, notamment de polars américains.