A des kilomètres de la première ville, au fond de la seule tente d’un campement en plein dĂ©sert de Mauritanie, trĂ´ne une radio VHF. Qu’un Ă©tranger passe par ici, et les habitants actionnent l’appareil pour prĂ©venir les autoritĂ©s.
C’est un modeste mais efficace maillon du dispositif sĂ©curitaire qui, mĂŞlĂ© Ă un travail sur les esprits, prĂ©serve la Mauritanie de la menace jihadiste alors que celle-ci ne cesse de s’Ă©tendre chez ses voisins sahĂ©liens.
Tandis que le Mali frontalier compte ses morts Ă intervalles rĂ©guliers, la Mauritanie, quatre millions d’habitants, n’a pas connu d’attaque sur son sol depuis 2011.
« Il faut remonter aux annĂ©es 2005 pour comprendre », explique un diplomate occidental. L’expansion de groupes islamistes en AlgĂ©rie, voisin du nord, touche alors de plein fouet la Mauritanie, théâtre de plusieurs attentats.
En 2008, l’ancien chef de la sĂ©curitĂ© prĂ©sidentielle, le gĂ©nĂ©ral Mohamed Ould Abdel Aziz, prend le pouvoir par la force. Un an plus tard, il est Ă©lu prĂ©sident.
Les partenaires occidentaux sont circonspects, mais pragmatiques: en raison du nombre substantiel de Mauritaniens dans les groupes jihadistes naissants dans le nord du Mali, « la France a très vite compris que la menace jihadiste pouvait s’Ă©tendre Ă la Mauritanie », selon un ancien coopĂ©rant français, tenu comme d’autres sources Ă cacher son identitĂ©.
Paris, et Washington dans une moindre mesure, envoient des formateurs encadrer les unités antiterroristes et renforcer le renseignement mauritanien.
Les autorités mauritaniennes investissent sur la formation et travaillent à fidéliser les soldats: budgets gonflés, nouveaux équipements, salaires versés à la banque, accompagnement social des militaires.
– Bataille des idĂ©es –
Aujourd’hui, des dizaines de checkpoints jalonnent chaque axe routier. Une immense rĂ©gion jouxtant le Mali a Ă©tĂ© classĂ©e « zone militaire » oĂą les civils n’ont pas le droit de circuler. « Toute voiture qui y circulerait serait repĂ©rĂ©e et contrĂ´lĂ©e. Cette mesure a permis le repĂ©rage de bandes armĂ©es de trafiquants de cannabis qui ont subi des bombardements de l’armĂ©e de l’air par le passé », souligne Hassane KonĂ©, chercheur Ă l’Institut d’Ă©tudes de sĂ©curitĂ© Ă Dakar.
Au mĂŞme moment, Nouakchott engage la bataille des esprits. Un dialogue est organisĂ© en 2010 entre les principaux oulĂ©mas et environ 70 jihadistes en prison. Les leaders religieux en convainquent une cinquantaine de se repentir. Parmi eux, certains sont envoyĂ©s Ă la tĂ©lĂ©vision, dans les mosquĂ©es, pour prĂŞcher auprès des jeunes que le jihad n’est pas la bonne voie.
Plus de 500 imams sont recrutés, et les jeunes sortis des mahadras (écoles traditionnelles islamiques) se voient offrir une formation professionnelle.
« Nous avons vu Ă cette Ă©poque une forte baisse des recrutements jihadistes », explique M. KonĂ©, par ailleurs ancien directeur des renseignements de la gendarmerie mauritanienne. « Les gens sont moins sensibles aux idĂ©es radicales, les populations collaborent plus avec l’Etat », continue-t-il.
L’actuel prĂ©sident Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, ancien chef d’Ă©tat-major et ex-bras droit du prĂ©sident Aziz, louait en janvier cette « ouverture spirituelle » fondĂ©e sur « l’ancrage des valeurs de tolĂ©rance et d’acceptation de l’autre pour dĂ©structurer et dĂ©truire les fondements religieux de l’action des terroristes ».
Au travail idĂ©ologique et sĂ©curitaire s’est greffĂ©e la crĂ©ation de villes ex nihilo, synonymes d’activitĂ© Ă©conomique et de services de proximitĂ©, quand les groupes jihadistes prospèrent dans d’autres pays sur l’absence de l’Etat.
Ainsi sont nées en plein désert Nbeiket Lahwach, Termessa, Bouratt et Chami.
– Pacte secret ? –
« Il s’agit d’occuper le terrain, de dire aux populations nomades qui n’avaient pas de sentiment d’appartenance Ă©tatique: +Votre pays s’occupe de vous, vous protège, vous soigne, Ă©duque vos enfants+ », analyse Isselmou Ould Salihi, journaliste mauritanien spĂ©cialiste des questions jihadistes.
L’immunitĂ© mauritanienne aux attaques ainsi que des dĂ©clarations amĂ©ricaines ont nourri les interrogations sur l’existence d’un pacte de non-agression secret entre Nouakchott et jihadistes.
Les Etats-Unis ont affirmĂ© avoir trouvĂ© en 2011, dans la cache pakistanaise oĂą a Ă©tĂ© tuĂ© l’ancien leader d’Al-QaĂŻda, Oussama Ben Laden, des documents faisant Ă©tat d’une tentative de rapprochement entre le groupe et Nouakchott en 2010.
« Rien n’a jamais permis de corroborer ces rumeurs, elles sont fausses », oppose une source proche du pouvoir.
Le diplomate occidental interrogĂ© par l’AFP abonde: « Pas de deal mais des relations tribales Ă©videntes et historiques entre habitants du nord du Mali et de la Mauritanie ».
La Mauritanie prend cette semaine la présidence tournante du G5 Sahel coordonnant la coopération de cinq pays de la sous-région sur la sécurité et le développement. « La Mauritanie est un acteur qui a pu venir à bout du terrorisme en 2011. Nous attendons beaucoup de leur présidence », explique une source française.